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L’HÉRITAGE DE LA « FRANÇAISE ».

Le train filait maintenant au milieu d’une immense plaine couverte d’un linceul de neige, et d’où s’élevaient de loin en loin les pyramides sombres des sapins. Vers le nord, on distingua la surface glacée du lac Kaïlka, d’où sort l’Oussouri, dernier affluent de la rive droite de l’Amour.

M. Kozets et Macelle Lisbe conversaient, se bourrant de thé bouillant.

Mona songeait.

À quoi pensait la jeune fille ?

Toujours à son esprit se présentait Dodekhan, ce forçat étrange qui lui avait sauvé la vie, et dont elle pressentait la noblesse, la droiture.

Soudain le train s’arrêta.

On était parvenu à hauteur de Ningouta, et sur les quais de bois de la gare, autour des citernes-réservoirs, grouillaient des soldats.

Ces soldats, tous les voyageurs les reconnurent avec un frémissement, c’étaient des cavaliers japonais.

Les guerriers du Mikado occupaient la station. Le train était leur prisonnier.


Ah ! ce fut un beau vacarme.

Les employés, les Nippons, invitaient les passagers à descendre. Ceux-ci criaient, juraient, invoquaient les Saints et le Tzar.

Des officiers, le revolver au poing, faisaient mine de résister énergiquement, tandis que les femmes, les marchands, les Chinois ou les Mandchoux, les suppliaient de ne point exaspérer les ennemis, de ne point les pousser à un massacre général.

— Macelle Lisbe, disait le policier, oubliez votre courage ; ne combattez pas.

Et l’Allemande, dont la lourde charpente était secouée par un frisson d’épouvante, mais chez qui la vanité ne perdait pas ses droits, consentait généreusement à ne pas engager une lutte, qui était, on le pense, bien loin de sa pensée.

Après bien des pourparlers, des rires et des grincements de dents, le train déposa sur le quai tout son « tonnage vivant », comme le dit spirituellement le commandant du détachement japonais.

Celui-ci, du reste, ayant fait placer les voyageurs sur deux rangs, leur adressa, le petit discours que voici :

— Mesdames, Messieurs. Au nom de mon maître, le Prince du Soleil Levant, j’ai l’honneur de vous saluer. Envoyé en reconnaissance, je précède, de cent kilomètres peut-être, le gros des forces envoyées contre Vladivostok. Or j’ai appris que votre train contenait, outre des sommes assez