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MISS MOUSQUETERR.

Elle a refermé le coffre. Elle se rasseoit à sa place dans la télègue et demeure immobile. Elle semble avoir oublié ceux qui l’accompagnent.

À tout autre moment, ceux-ci se fussent étonnés de cette singulière et heureuse manifestation de lucidité entre deux obscurités de l’intelligence. Mais à cette heure, la préoccupation était trop grande.

L’héroïque Anglaise, qui avait supporté stoïquement la douleur pour ne pas retarder la fuite de ses amis par un cri, par une plainte, il la fallait sauver à tout prix. Sara, comme Max, pensait :

— Ce serait monstrueux qu’elle mourût, pour nous avoir sauvés.

Et la jeune fille rhabillée tant bien que mal, installée aussi confortablement que possible dans la télègue, chacun se hissa dans son véhicule, et la marche fut reprise, non plus à grande allure comme au départ, mais au pas afin d’éviter les cahots.

Au jour seulement, on atteignit Berna, petite station de la ligne de Rostov-Kichinev-Odessa, L’aspect en était singulier. Le drapeau rouge flottait à son faîte. Au lieu des employés aux uniformes corrects, des hommes en blouses, en chemises de couleur, portant les coiffures populaires, assuraient le service. La ligne était exploitée par les agents de la révolution.

Ceux-ci d’ailleurs reçurent fort bien les voyageurs, et quand ils eurent appris que la blessée avait été frappée par un soldat, par un projectile sorti d’un fusil d’ordonnance, ils manifestèrent, soudain un intérêt excessif pour la victime. Les uns coururent à la recherche d’un médecin, d’autres disposèrent les boîtes de pharmacie de la gare. D’autres encore aidèrent la duchesse et Max, à porter Violet Mousqueterr dans la chambre de l’ex-chef de gare, actuellement en fuite.

Celui qui remplissait à présent ces importantes fonctions, mettait tout son personnel en mouvement pour satisfaire les hôtes inattendus de la station. Et au milieu de ses ordres, il lançait des phrases joyeuses :

— Je crois bien qu’il faut la guérir ! Maldonetz, va donc au buffet ; de la bière et du vodki. Frappée par un soldat ; une belle jeune fille, par les saints Anges, très belle, et Anglaise avec cela ! Ah ! les tzaristes tirent sur les Anglaises ! Machlov, dans le cabinet de l’ex-inspecteur, une couverture piquée. Ce sera, plus léger pour cette pauvre enfant. Ah ! ah ! l’Angleterre réclamera, elle apprendra aux esclaves de l’Autocrate que l’on ne massacre pas les Anglais comme le peuple russe !

Max, trop douloureusement impressionné, ne prêtait nulle attention à ce flux de paroles dont il percevait seulement le vague bourdonnement. Il se