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UN ENFER SCIENTIFIQUE.

compte qu’en effet les mêmes aspects se représentaient sans cesse à ses yeux[1].

Comme si ces hautes terres sans végétation, sans eau, où l’air se fait moins dense, où le gel règne en maître, n’étaient point assez désolées, la nature, dans une névrose de cruauté, a voulu que les intrépides pionniers du désert glacé connussent la décevante, la décourageante certitude apparente qu’ils marchaient tout le jour sans réussir à changer de place.

À l’aube, on a quitté un sommet. Au prix d’efforts surhumains, de fatigues inexprimables, on a réussi à descendre dans une vallée sombre, à gravir les pentes opposées. Au crépuscule, on atteint le sommet vers lequel on tend depuis le matin.

Et là, la joie de la route parcourue, le triomphe de la difficulté surmontée, tout, se dissipe, s’évapore, disparaît au premier regard jeté autour de soi.

On se croit au même endroit qu’au début de l’étape. C’est le même sol craquelé par la gelée, la même teinte grise et terne, les mêmes formes de terrain, les mêmes cimes arrêtant la vue. On a marché, grimpé, sauté tout le jour pour entraîner avec soi le paysage du départ.

Le soleil s’abaissait vers le couchant, éclairant encore les sommets, tandis que du fond des vallées, tel un brouillard sombre, montait le crépuscule, annonciateur de la nuit.

Il allait falloir s’arrêter, dresser les tentes, car, avec les ténèbres, le froid s’accentuerait, deviendrait intolérable.

À ces affirmations de Leddin, le romancier ne trouva rien à répondre.

Sur lui pesait une tristesse invincible. Il avait conscience de se trouver dans une de ces situations où l’énergie, le courage, la volonté se heurtent à l’impossible. On ne lutte pas contre le vide, contre le néant.

D’un geste las, il acquiesça à la proposition du guide. Celui-ci désigna une dépression, en forme de cuvette, que dominaient à cet instant les voyageurs.

— Dans ce creux, nous serons abrités du vent.

Max inclina la tête, et lentement l’indigène s’engagea sur la pente. Le jeune Français le suivit machinalement. Brusquement, des exclamations le tirèrent de sa méditation. Il regarda. Ses compagnons, les montagnards penchés vers le sol échangeaient des phrases brèves avec des gestes de surprise. Il perçut confusément :

— Voici les empreintes des yaks.

— La trace des piquets des tentes.

  1. Ceci a été constaté par tous les explorateurs des Hauts Plateaux, Bonvalet, le Prince d’Orléans, etc.