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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

— Aoh ! ce était tout à fait un gentleman.

Et il alla lui serrer la main avec cordialité. Pendant qu’ils échangeaient le shake hands un brouhaha se produisit vers la porte du château. Un homme cherchait à se sauver. Interpellé, il n’avait pas répondu. Alors, deux ou trois montagnards lui avaient couru après et le ramenaient de force. Tout naturellement, ils le conduisirent devant leur général. Le Libérateur partit d’un franc éclat de rire. Le prisonnier était penaud et tremblant.

— Ah ! maître Bouvreuil ?… fit Armand… Eh bien, qu’en dites-vous !… Du jour au lendemain les rôles sont changés en ce pays.

— Ah ! je l’ai vu tout à l’heure, quand cette foule vous acclamait… je n’ai songé qu’à me sauver.

— Pour éviter mon juste courroux !… Mais vous ne savez pas un mot d’espagnol, vous ne seriez pas allé bien loin.

— Hélas !

— Dites, mon bon monsieur Bouvreuil, hier vous me faisiez arrêter, si je vous faisais fusiller aujourd’hui ?…

— Oh !… oh !… Lavarède, mon doux ami… vous ne ferez pas ça… tenez, voici vos quittances, voilà mon désistement, mes billets de banque… tout ! tout ! voulez-vous ma fille avec ?… Prenez tout, mais ne me prenez pas la vie !…

Les Costariciens n’entendaient pas ce dialogue, échangé en français ; mais ils comprenaient parfaitement les mouvements extérieurs.

— Qu’ai-je à faire de votre fortune, répondit Lavarède avec un geste de refus ?… J’ai cinq sous, vous le savez bien, et ils me suffisent.

Il n’y avait pas à se méprendre à cette pantomime. Un chef de révolution désintéressé, cela est assez rare pour enthousiasmer la foule sous toutes les latitudes. Pour l’exalter encore :

— Nous ne sommes pas des voleurs, s’écria Armand, en castillan cette fois, nous sommes des libres citoyens.

Un hourrah immense lui répondit. S’il avait seulement levé le doigt, Bouvreuil et José eussent été sur place écharpés par ceux-la mêmes, capitaine Moralès en tête, qui leur obéissaient quelques heures auparavant. Mais le Libérateur en avait décidé autrement. Cette révolution qu’il avait faite uniquement pour sauver sa petite amie Anglaise, cette révolution qui s’accomplissait, il ne savait encore au profit de qui ; il la voulait pure de tout crime, exempte de sacrifices humains.

— Non, dit-il, majestueusement Bouvreuil et à José, non, je ne veux pas votre mort ! Cette blessure légère que j’ai reçue, je la bénis, car elle m’a