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L’ODYSSÉE D’UN PRÉSIDENT.

chaussée, ils voient Lavarède et l’acclament. Ce sont ceux qui ont fait route avec lui et qui le reconnaissent pour chef. Mais une émotion s’empare d’eux. Leur ami « La Bareda » est couvert de sang. Il défaille.

Miss Aurett s’empresse auprès de lui pour le soigner. Heureusement la blessure n’est que légère. La balle de José n’a fait qu’effleurer l’épaule, un pansement rapide arrête l’hémorragie. En deux minutes, tous ceux qui sont présents au château savent la nouvelle. Il a été blessé, son sang a coulé pour la bonne cause. Cela suffit. D’eux-mêmes, tous se rangent sous ses ordres. Et le voilà du coup qualifié de « général » par les partisans de Zelaya et de Hyeronimo. Il est le général La Bareda, libérateur des peuples, martyr de la révolution, plus encore si cela lui plaît !… Revenu de son évanouissement passager, il songe au père d’Aurett et donne l’ordre de le délivrer. Les quatre soldats qui l’ont attaché et le gardent le lui amènent immédiatement. Une idée plaisante lui traverse l’esprit.

— Emparez-vous de cet homme, ordonne-t-il en désignant don José, et liez-le solidement avec les mêmes cordes qui ligotaient la victime de son arbitraire.

Il n’y a pas de bonne révolution sans ces compensations-là. Les palais restent les mêmes ainsi que les prisons ; ce sont seulement les locataires qui changent. Les quatre hommes s’acquittaient consciencieusement de leur besogne lorsque sir Murlyton les arrêta d’un geste.

— Qu’y a-t-il ?… que voulez-vous ?…

— Aoh ! dit l’Anglais, avant de l’attacher, je voudrais boxer lui.

— Soit, dit le libérateur, boxez…

Ce disant, il accompagna cette marque de condescendance et d’autorité d’un de ces mouvements superbes comme en eut le roi Salomon, lorsqu’il rendait la justice.

En un clin d’œil, on se transporta dans la cour ; on forma le cercle, Lavarède assis sur un siège élevé, miss Aurett auprès de lui. Et au plus grand ébaudissement de l’assistance, don José reçut une formidable dégelée de coups de poing, administrée dans les règles les plus correctes de l’art. Les joues bouffies, les chairs meurtries, les yeux pochés et sanglants, il fut enfin arraché à la fureur vengeresse de l’Anglais. Celui-ci, qui avait évidemment la colère concentrée, ne s’était pas départi de son calme habituel.

— Je suis satisfait, dit-il avec un grand flegme… ma dignité est vengée.

— Et mon honneur est sauf, ajouta à voix basse miss Aurett, grâce à notre ami M. Lavarède.