Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/106

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
103
L’ODYSSÉE D’UN PRÉSIDENT.

fait le chef de tous ces braves gens, et vous ne la paierez pas de sévères représailles. Seulement vous comprenez bien que je ne veux pas vous retrouver sur mon chemin… J’ai un trop grand intérêt à continuer ma route pour ne pas me débarrasser de vous. Capitaine Moralès, vous allez, sous bonne escorte conduire ces deux messieurs, par les montagnes, jusqu’au rivage de l’Atlantique. Vous irez à Puerto-Limone, et vous les ferez embarquer sur le premier navire en partance, dans n’importe quelle direction, pourvu que ce soit loin de la terre de Costa-Rica. Il vous faut assurément quinze jours pour exécuter cet ordre ; après quoi vous reviendrez à la capitale de la République, à San José, où vous recevrez la récompense que mérite votre mission. Je vous la promets aussi considérable que le service rendu. Voici votre ordre écrit. L’argent que nous laissons à vos deux prisonniers servira à payer leurs voyages et à entretenir l’escorte que vous commandez. J’ai dit. Allez ! Et Vivan los libres ! »


— Nous avons la vie sauve, murmura José bas à Bouvreuil, rien n’est perdu encore… Je connais le pays et je vous réponds que nous nous retrouverons face à face avec ce trop confiant Français.

Un peu remis de la bourrasque passagère, sir Murlyton se rendit compte du service qu’Armand venait de lui rendre, ainsi qu’à sa fille. Celle-ci, de son côté, l’avait compris de suite. Aussi leur reconnaissance s’en accrut avec leur amitié pour le bon diable, au destin de qui ils étaient attachés pour toute une année. Et ce fut pour eux une simple question de conscience de rappeler à Lavarède qu’il n’était pas en route uniquement pour renverser don José de son trône préfectoral.

— Votre voyage, dit l’Anglais, ne doit pas souffrir de tels retards. Honnêtement, je suis prêt à décompter de sa durée les jours perdus ici pour notre salut personnel.

— Non pas, fit Armand, ce sont là menus incidents qu’il faut prévoir lorsqu’on voyage sans argent. C’est la compensation nécessaire.

— Soit, mais que comptez-vous faire maintenant ?

— Parbleu, continuer ce que j’ai commencé ici.

— La révolution !

— Certes… de ce coin perdu de la Cordillère américaine, où irai-je pour trouver mieux et m’avancer un peu… Je ne puis exécuter de besogne plus avantageuse que celle de révolutionner le pays. D’ailleurs, je ne le voudrais point que j’y serais forcé… Ces gens n’ont d’autre objectif que de marcher sur la capitale ; je suis leur chef, je dois les suivre, ainsi que disait chez nous Ledru-Rollin en 1848… Réfléchissez-y, au surplus ; en