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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

agissant de la sorte, je reste dans mon programme ; la capitale, San José, est dans la direction du Nord. Je dois aller vers le Nord pour m’efforcer de rejoindre San Francisco. Par conséquent, je marche à la tête de ma troupe, je m’adresse au nouveau président, une fois arrivé la-bas, et, à titre de récompense, je lui demande le moyen de continuer mon voyage.

— Avez-vous songé aux difficultés qui vous attendent pour atteindre San Francisco ?

— Non. Je les rencontrerai toujours assez tôt.

— Mais il vous faudra traverser tout l’isthme américain… qui n’est pas riche en voies carrossables, ni en chemins de fer ; franchir le Nicaragua, le San Salvador, le Guatemala ; ensuite c’est le Mexique à parcourir dans toute sa longueur… jamais vous n’arriverez.

— Surtout, interrompit gaiement Lavarède, surtout si je ne commence pas… Donc commençons !

Et ayant donné à ses partisans le signal du départ, le « général » enfourcha sa mule et se mit en route. Fidèles historiens de cette aventure, nous devons reconnaître qu’il ne courait pas grand péril. À son arrivée, ce n’était partout qu’acclamations et vivats. Sur son passage, on tirait des coëtes, des pétards, on se disputait l’honneur de le loger, de l’héberger, lui et sa suite, c’est-à-dire Murlyton et Aurett. Déjà même, parmi les gens de son armée et dans les contrées que l’on parcourait, le bruit s’était répandu que ces deux personnes étaient sa femme et son beau-père ! Et quelques-uns des siens répétaient cela aux autres, avec un petit air entendu, des hochements de tête significatifs, que seuls, nos trois voyageurs ne comprenaient pas. À la fin miss Aurett voulut en avoir le cœur net. La troupe se dirigeait vers le pays des Guetarez ; on suivait un chemin au pied de la montagne Dota et le hasard de la route avait logé l’état-major de la petite colonne dans une hacienda, la Cascante, dont Mlle Luz, une aimable señorita, faisait les honneurs. Pendant que Lavarède pansait sa blessure de l’épaule avec l’aide accoutumée de sir Murlyton, les deux jeunes filles causèrent et Aurett apprit tout de la bouche de Luz :

— Un article de la Constitution du 22 décembre 4871 porte que le président de la République costaricienne est élu pour quatre ans, non rééligible ; il doit justifier d’un capital de 50 000 francs, être d’au moins trente ans et être marié.

— Bon, pensa la petite Anglaise, M. Armand a l’âge nécessaire, il est en train de gagner quatre millions, et ses amis le croient marié… Je ne dois pas les dissuader… je continuerai de passer pour sa femme et ce sera plaisant, très humbug, de le faire acclamer président.