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Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/126

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LES GUATUSOS.

La lecture de ce document, qu’Armand traduisit à ses amis, les plongea d’abord dans des réflexions un peu sombres. Lavarède rompit le premier le silence en s’adressant à l’Indien.

— Tu es libre, Agostin… et peux t’en aller… tu avais tort, tu vois, de tant redouter les Guatusos.

— Que Votre Grâce ne s’y trompe pas, répliqua-t-il ; les Guatusos ne sont pas des soldats du gouvernement et don José a menti lorsqu’il a écrit ces mots.

— Tu crois ?

— J’en suis sûr, mais je ne comprends pas pourquoi il consent à laisser passer Son Excellence et la jeune fille… Je devine une ruse, mais je ne sais laquelle.

— Nous le savons, nous, fit miss Aurett… Et pour ma part, je suis résolue à ne pas me remettre entre les mains de cet homme.

— Oui, ajouta sir Murlyton, sous le couvert de la politique, ce misérable poursuit une vengeance privée contre vous, Lavarède, et un abominable dessein contre ma fille.

— Il est évident, conclut Lavarède, qu’il cherche à nous diviser pour nous affaiblir et que les Guatusos à sa solde voudraient nous voir sortir de notre inexpugnable fortin… Vous seriez leurs prisonniers, exposés sans défense aux entreprises de José, ce rastaquouère qui ose me traiter d’aventurier ! et moi je serais sans doute massacré par ces cruels Indiens.

Les conclusions d’Armand étaient justes. Les assiégés n’avaient donc qu’un parti à prendre : combattre jusqu’à la dernière cartouche. Cette résolution arrêtée, le journaliste s’assura que les armes étaient en bon état. Quant aux munitions, elles ne manquaient pas encore…

Ce jour-là se passa sans incident. Seulement le blocus se resserra. Vint la nuit. Lorsqu’arriva le tour de garde de Lavarède et d’Agostin, l’indien prit la parole à voix basse, pour ne pas troubler le sommeil des Anglais.

— La journée de demain peut être dure, dit-il. Il faut que le chef ait le corps dispos et l’esprit alerte. Dors donc tranquille, toute cette nuit : j’ouvrirai les yeux pour deux.

Lavarède, fatigué par les précédentes veilles, accepta l’offre du soldat et s’endormit profondément. Lorsqu’il se réveilla, le jour pointait à l’horizon. Il jeta un rapide coup d’œil autour de lui dans le rancho. Miss Aurett et son père surveillaient la plaine ; mais l’indien avait disparu. Un soupçon traversa l’esprit du Français.