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Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/136

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DE L’ATLANTIQUE AU PACIFIQUE

— Ma chère enfant, tu me sembles t’échauffer plus que de raison pour une froide Anglaise… Mais le sentiment qui t’inspire est trop honorable pour que je ne pardonne pas ce que je lui juge d’exagéré. C’est entendu, nous prendrons passage tous les trois abord de l’Alaska. Je te ferai observer seulement que notre blessé est en ce moment dans son lit et que, pour trouver ton steamer, il faut aller le chercher de l’autre côté de l’isthme. Est-ce possible ?…

Murlyton cédait, Aurett se fit câline et tendre.

— Certes, c’est possible. J’ai retrouvé ici M. Gérolans, ce Français, ami de M. Lavarède, qui est employé aux travaux du canal et nous en avons causé ensemble, avec le chirurgien… « Notre blessé », — j’aime à t’entendre dire « notre », — est transportable ainsi : il restera dans son lit, on mettra son matelas sur une plate-forme de wagon de Colon à Panama ; dix-sept ou dix-huit lieues de France sont vite franchies en chemin de fer… et on le hissera à bord du bateau américain, toujours sur le matelas qu’il nous suffit de faire ajouter sur la note de l’hôtel. Dans le trajet où nous ne le quitterons pas, il ne risque qu’un peu de fièvre. Le calme du voyage qui suit dans le Pacifique nous donnera le temps et le moyen d’apaiser cet accès. Avant trois semaines, il sera debout, ayant gagné du terrain, et prêt à continuer sa route. Vous voyez que nous aurons fait une action honnête, de celles par conséquent dont on n’a jamais à se repentir.

— Je retrouve en toi les qualités pratiques de notre nation, ma petite Aurett, tu as tout combiné, tout prévu… qu’il soit donc fait comme tu le désires… et que Dieu nous guide…

Avec une tête comme celle d’Aurett, avec un bras comme celui de Murlyton, on passait rapidement des paroles aux actes. Pendant que Gérolans et Ramon, qui venaient chaque jour aux nouvelles, procédaient à l’installation du blessé, — toujours enfiévré, mais qui de temps à autre trouvait de placides accalmies, heureux présages de sa prochaine résurrection, — Miss Aurett aperçut le perfide Bouvreuil, qui, résidant à Colon depuis quelque temps, s’était tenu au courant des mésaventures de celui que, mentalement, il appelait « son gendre » avec de doucereuses et féroces inflexions.

— Eh bien, mademoiselle, que devient donc votre excellent ami ?… Je n’ose pas aller moi-même prendre de ses nouvelles ; mais j’en ai de seconde main et j’ai appris votre dévouement.

— Je cherche simplement à m’acquitter envers M. Lavarède qui m’a sauvée d’embûches… auxquelles au surplus vous n’êtes peut-être pas étranger.