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XI

FRISCO

San Francisco, Frisco, pour les Américains économes de temps et de paroles, est le port le plus important de l’Ouest-Amérique, et sa rade merveilleuse a été célébrée par maints voyageurs.

De toutes les cités américaines, c’est celle qui ressemble le moins à « une ville d’Amérique ». La foule ici est plus bigarrée, moins uniforme. Les plaisirs y sont plus éclatants, moins dissimulés. Les gens sont plus « en dehors », moins hypocrites. L’aspect extérieur est plus gai, moins austère. C’est évidemment le séjour le mieux fait pour plaire à un Européen, qui finirait par mourir d’ennui dans certaines rigides et pudibondes cités de la Nouvelle-Angleterre, par exemple.

Sur le quai de débarquement, encombré de tonneaux, de caisses, de ballots, s’agitait une cohue compacte et bruyante : commerçants, matelots, coolies chinois, porteurs irlandais, se croisaient en tous sens, affairés à ce point qu’ils n’accordaient point un regard aux nouveaux débarqués.

Ceux-ci s’étaient arrêtés, un peu étourdis d’abord, de passer brusquement du calme de la pleine mer au mouvement d’une grande ville. Armand songeait, avec une nuance de tristesse, à ces quelques jours de traversée, pendant lesquels miss Aurett lui avait prodigué les douces causeries et les délicates attentions. On s’habitue vite à se laisser vivre, surtout auprès