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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

d’une jolie fille. Aussi le jeune homme voyait presque avec regret arriver l’heure où il devait recommencer la lutte.

— Où allons-nous ? demanda miss Aurett.

La question fit tressaillir Armand, qui, se tournant vers sir Murlyton, lui dit :

— Connaissez-vous la ville ?

— Pas le moins du monde.

— Alors, permettez-moi de vous donner un conseil. Prenez cette large rue plantée d’arbres qui s’ouvre en face de nous, c’est Kearny street. À cinq cents mètres d’ici vous verrez, à côté de la Bourse du commerce, le China-Pacific-Hotel, je vous le recommande.

— Ah ça ! interrompit l’Anglais ébahi, vous êtes déjà venu ici !

Lavarède sourit.

— Pas précisément, mais j’ai lu tant de choses…

Puis changeant de ton :

— Nous voici à terre, je ne souffre presque plus de ma blessure, il faut que je songe à gagner ma vie et à continuer mon voyage.

— Comme cela, tout de suite, dit Murlyton à qui sa fille venait d’adresser un regard expressif.

— Accepter plus longtemps votre hospitalité serait indiscret.

Et, tranquillement, il ajouta :

— Voyez là-bas cet homme entouré d’un tas de pauvres diables de toutes nations. Il embauche des déchargeurs… il m’engagera. C’est le vivre assuré pour deux jours, avec le temps de réfléchir.

Il tendait la main à l’Anglais.

Very curious, murmura celui-ci, chef d’État la-bas, portefaix ici… Very curious.

Mais miss Aurett intervint :

— Mon père, vous oubliez ce qu’à dit le médecin du bord. Au moindre effort violent, sa blessure peut se rouvrir. Il serait inhumain et déloyal de laisser faire M. Lavarède.

Le gentleman se frappa le front :

— Aoh ! c’est juste… Écoutez, mon cher convalescent, votre état réclame encore des soins pendant une huitaine. Accompagnez-nous à l’hôtel que vous avez indiqué.

— Comment… à l’hôtel ?

— Oui, c’est compris dans les soins que je vous redois.

— Et le bifteck aussi ?