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Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/158

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FRISCO

La remarque parut blesser le Français.

— Vous vous trompez, mademoiselle ; nous avons besoin de quelques dollars, je les emprunte comme je puis, avec la certitude de ne faire tort à personne. Demain nous irons au Californian. Nous ouvrirons les lettres à nous adressées jusqu’à concurrence de vingt-six dollars ; sir Murlyton câblera à Londres. Puis, la réponse de votre banquier étant arrivée, nous remettrons dix cents dans chacune des missives décachetées que nous rapporterons au journal. Monsieur votre père voudra bien alors faire passer une nouvelle annonce dont voici le sens : « Le moyen sûr de gagner aux courses n’existe pas. Nos correspondants n’ont qu’à se présenter au Californian-Times, où, après justification, les sommes versées leur seront remboursées. » Coût, trois ou quatre dollars. Ce sera mon courtage.

La jeune fille avait rougi en écoutant ces explications. Elle avait honte de sa mauvaise pensée et elle l’avoua franchement.

— Voulez-vous me pardonner, monsieur Lavarède ? dit-elle en lui tendant la main.

— Une susceptibilité qui vous fait honneur, riposta le Français qui avait retrouvé toute sa bonne humeur, mais je vous en félicite et suis presque heureux de la petite mortification qu’elle m’a valu.

À cette réplique, la rougeur de l’Anglaise s’accentua encore ; mais les voyageurs atteignaient le China-Pacific-Hotel, et leur pensées changèrent de direction à la vue de Bouvreuil qui pénétrait à leur suite dans le vestibule. Le propriétaire les avait « filés » et, certain de connaître enfin leur gîte, il allait prendre une chambre dans la maison, afin d’être à même de surveiller son gendre, comme il s’obstinait à désigner Lavarède. Celui-ci toisa l’homme d’affaires.

— C’est encore vous, monsieur Bouvreuil ?

— Ce sera toujours moi.

— Vous êtes décidé à ne pas me quitter ?…

— Et à vous ramener en Europe, ruiné et repentant, oui.

— Alors, vous songez quand même à me marier ?…

— À ma fille Pénélope, quand vous aurez échoué dans votre folle entreprise… Parfaitement !

— En ce cas, monsieur Bouvreuil, préparez vos jambes. J’ai l’intention de vous faire courir.

— Je courrai.

— Même de vous distancer, moins pour hériter de mon cousin que pour ne plus vous voir.