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Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/173

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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

— Non, dit-il enfin avec effort, tremblant que sa réponse ne mît fin à son rêve doré ; mais cela n’a rien d’étonnant… Le père est mort quand j’avais douze ans, et la mère l’a suivi en terre au bout de quelque mois.

— Cherchez bien, la tante Margareth ?

— Margareth, s’écria Vincents triomphant, je connais ce nom-là.

— Parbleu ! pensa Lavarède, il est assez commun en Irlande. Puis, avec une gravité parfaitement jouée, le jeune homme tendit les mains à son interlocuteur en disant :

— Cousin…

L’autre ne le laissa pas achever.

— Cousin, répéta-t-il.

— Nous le sommes, cela ne fait plus de doute pour moi. Écoutez donc : la tante Margareth est décédée laissant huit mille livres sterling, deux cent mille francs à partager par moitié entre vous et moi, à la condition que nous toucherons tous deux le même jour. Elle a voulu sûrement réparer ainsi ses torts envers les deux branches de la famille.

Et au pauvre diable qui l’écoutait bouche bée, il raconta comment lui-même, étant quelque peu pressé d’argent, s’était décidé à venir en personne retrouver son cousin. Il lui dit être descendu au China-Pacific-Hotel, dans Montgomery street, ce qui fit ouvrir de grands yeux au besogneux Vincents.

— De ce train-là, remarqua ce dernier, vos quatre mille livres ne vous conduiront pas loin. Moi, je ne ferai pas le grand seigneur… J’achèterai de la terre en Irlande et je vivrai en fermier.

Lavarède ne se souciait pas de connaître les projets d’avenir de son pseudo-parent, il l’interrompit donc pour demander :

— À quelle heure devez-vous rentrer à votre office ?

— À deux heures.

— Il est moins cinq.

— Que m’importe maintenant. J’ai envie de leur donner ma démission.

Armand sursauta :

— Ah ! non, pas ça, s’écria-t-il.

En une seconde, il voyait réduit en poudre son plan si péniblement dressé.

— Pourquoi… « pas ça ».

— Mais parce que…

Il ne pouvait pourtant pas lui répondre : « Parce que j’ai besoin de vous pour pénétrer dans le dock de la Compagnie. »