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Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/201

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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

— Bon, pensa-t-il, les passagers regagnent leurs cabines en corps. Ah ça ! est-ce que je leur aurais fait peur ?

Il se tut brusquement, les pas s’étaient arrêtés à la porte et presque aussitôt une clef grinça dans la serrure. Le jeune homme n’eut que le temps de se jeter derrière un cercueil. Un îlot de lumière pénétra dans son compartiment.

— Une ronde, ça y est, je suis pris !

L’imprudent s’était éloigné de sa cachette, et il lui était impossible maintenant de la regagner sans être vu. Vingt-cinq secondes s’écoulèrent, scandées par les battements de son cœur… et soudain s’éleva une voix douce :

— Je vous remercie, capitaine, disait-elle, ces bougies pour m’éclairer, ce livre pour me distraire suffisent. Je ne crois pas aux apparitions fantastiques, je suis certaine qu’il ne se produira rien de surnaturel et je veux gagner tout à fait mon pari.

— Pourtant, un matelot de garde dans le couloir, mademoiselle…

— Mais non, mais non, je ne cours aucun danger. Veuillez seulement, me remettre la clef… Merci, et maintenant, bonsoir.

On chuchota un instant, puis la porte se referma. Avançant un peu la tête, Lavarède aperçut miss Aurett, debout une bougie à la main, le corps légèrement penché en avant, écoutant s’éloigner ceux qui l’avaient accompagnée. Rassurée enfin par le silence, elle s’approcha des cercueils avec une répugnance visible et consulta les plaques de cuivre portant les numéros d’ordre appliquées sur les couvercles.

— 49, murmura-t-elle entre haut et bas, où est le 49 ?

Très surpris de la voir seule en pareil lieu, le locataire de ce numéro répondit aussitôt sur le même diapason :

— N’ayez pas peur, mademoiselle, le 49 est en promenade.

Elle tressaillit au son de sa voix, mais se remettant aussitôt :

— C’est vous, monsieur Lavarède ?

— Moi-même.

Sortant de sa cachette, il ajouta avec le plus grand sérieux :

— À quel heureux hasard dois-je le plaisir de votre visite ?

Les circonstances donnaient à la question un caractère burlesque. La jeune fille sourit et la glace fut rompue.

Au premier moment, l’Anglaise avait éprouvé quelque embarras, mais il était bien dissipé maintenant, et ce fut comme à un bon camarade qu’elle conta gaiement l’histoire du revenant. Elle devint plus sérieuse pour dire