Aller au contenu

Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/231

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
228
LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

Elle s’était résolument promis de surveiller les deux Chinois dans l’accomplissement de leur funèbre besogne. Tout le monde étant endormi, elle se glissa dans le couloir sombre.

Presque aussitôt des pas légers se firent entendre à l’autre extrémité. Une lueur voilée lui permit d’apercevoir deux vagues silhouettes. C’en était assez. Elle avait reconnu Han et son chef, s’éclairant de leur lanterne.

La lumière disparut soudain. Aurett comprit que les Célestes étaient entrés dans le compartiment des morts, et, prise d’une curiosité irrésistible, elle se glissa sans bruit jusqu’à la porte. Han l’avait laissée entrouverte. Par l’entre-bâillement, l’Anglaise coula un regard.

Les affiliés du « Lotus blanc » avaient posé leur lanterne à terre et s’occupaient à faire glisser le cercueil étiqueté 49 des tasseaux qui le supportaient. Un faux mouvement fit heurter le plancher au coffre de chêne. Aurett déjà troublée, ne put réprimer un léger cri. Aussitôt une main nerveuse saisit son poignet ; et avant qu’elle eût pu se rendre compte de ce qui se passait, elle fut entraînée dans la chambre des morts.

Au son de sa voix, Han avait bondi et il l’amenait à son chef. Celui-ci faisait peser sur la jeune fille un regard aigu, pénétrant, et, comme l’oiseau fasciné par un serpent, elle essayait de détourner la tête, d’échapper à ces yeux immobiles qui l’hypnotisaient. Derrière elle, barrant la porte, Han attendait les ordres de son compagnon. Enfin le chef haussa les épaules.

— Tant pis pour elle !… va !…

D’un geste rapide, Han tira son poignard et le leva sur l’Anglaise. Elle était perdue, quand tout à coup le Chinois tourna sur lui-même comme une toupie et s’alla heurter avec un grognement de douleur à l’angle d’une bière voisine.

À côté de la jeune fille, Lavarède venait de se dresser. Prévenu de la visite des « Célestes » et voulant assister à leur petit « travail », il s’était caché, puis, tout naturellement, il avait couru au secours de la blonde miss. Maintenant, il était devant elle, la couvrant de son corps en face des Chinois menaçants.

La lutte allait s’engager. Aurett eut l’intuition fugitive que son ami venait de lui sacrifier l’héritage de son cousin. Au bruit, les marins viendraient certainement, le journaliste serait découvert. Et si, par hasard, ou ne venait pas, la situation n’en était pas moins désespérée. Le secret du Parisien ne lui appartenait plus. Les deux Chinois le possédaient, sans compter que, dans ce combat inégal, le brave garçon pouvait succomber. Elle regarda Armand. Il souriait.