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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

À sa tunique bleue bordée d’une bande verte, à sa coiffure sombre surmontée d’un bouton de jade, on reconnaissait un officier de la police. Auprès de lui se tenait un jeune homme de la famille Pali-Ma qui s’était brusquement éclipsé lors de l’ouverture du cercueil. Celui-ci désigna Lavarède au policier en prononçant des paroles que le Français ne comprit pas.

L’agent s’élance vers la porte et fit entendre une exclamation gutturale. Aussitôt une dizaine d’hommes, vêtus comme lui, firent irruption dans la pièce et garrotèrent Armand.

— Je regrette de vous avoir retenu, lui dit M. Saxby qui venait de s’entretenir avec le chef de la troupe, votre affaire est grave.

— À ce point là ?

— Vous êtes accusé d’avoir détruit la dépouille de la jeune Li-Moua pour prendre sa place. Sacrilège, profanation de sépulture, tout y est. Selon toutes les probabilités, vous serez condamné à mort.

Lavarède eut un léger frisson, mais se dominant aussitôt.

— Grand merci du renseignement, répondit-il.

— Soyez assuré que je suis bien fâché, reprit le directeur, et même si je pouvais vous être utile. N’avez-vous point de parents, d’amis, auxquels vous désiriez adresser vos adieux ? Je ferai parvenir vos lettres.

Un instant le journaliste hésita. La douce image d’Aurett passa devant ses yeux, puis il secoua la tête.

— Je vous suis obligé, mais je ne souhaite encore annoncer ma mort à personne… Si, cependant, à ce bon monsieur Bouvreuil, qui nous écoute ; comme je lui ai sauvé la vie, la nouvelle lui fera plaisir.

Saluant l’usurier visiblement troublé, il se remit aux mains des agents et sortit sous leur escorte, pour gagner la prison. Durant la traversée de la ville de Takéou, quelques groupes se formèrent sur le passage du cortège, mais ils furent aussitôt dispersés par le bâton que les policiers maniaient avec une dextérité indiquant une grande habitude.

Les cités chinoises sont malpropres. Les rues, coupées au milieu de la chaussée par une rigole où les habitants jettent les immondices, affectent désagréablement la vue et l’odorat. En sa qualité de port, Takéou est encore un peu plus sale que les villes de l’intérieur.

De monuments, aucun. La plupart des maisons sont construites de boue et de torchis. De loin en loin, une habitation plus riche montre sa façade ornée de faïences multicolores, figurant des arabesques compliquées, des animaux, des fleurs. Une seule promenade existe, au bord du fleuve Peï-Ho, à l’embouchure duquel s’élève la morose bourgade chinoise. Et