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Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/244

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COMPLICATIONS ET CHINOISERIES.

dait brièvement, conservant une attitude froide. Évidemment il refusait une chose que son interlocuteur demandait avec insistance. Cela dura un quart d’heure sans que Lavarède pût deviner de quoi il s’agissait. Les deux hommes tombèrent sans doute d’accord, car on conduisit le captif dans une chambre où on l’enferma.

Resté seul, Armand se prit à réfléchir à sa triste situation. Un instant, amusé par les grotesques qui avaient défilé devant lui, il songeait maintenant qu’il était enfermé dans une prison chinoise et accusé de sacrilège. Il connaissait, par les récits des missionnaires et des voyageurs, l’inflexibilité de la loi du pays, la cruauté des supplices, et il était obligé de s’avouer qu’à moins d’un miracle, son affaire était claire. Le vieil adage des fils de Han lui revenait à l’esprit :

— Punir un coupable est bon, mais frapper un barbare d’Europe est délicieux !

Ces réflexions moroses mettaient sur le visage du prisonnier un masque mélancolique, et il ne s’étonna pas qu’une larme obscurcit vaguement ses yeux tandis qu’il prononçait douloureusement un nom :

— Aurett.

Ce doux nom, joyeux, pimpant comme un rayon d’aurore ou le prélude du pinson, prenait dans cette geôle l’aspect d’une raillerie. Plus infortuné que Tantale, qui au moins pouvait dévorer des yeux les fruits éternellement éloignés de ses lèvres, Armand ne verrait plus la jeune fille.

Donc, le gai Parisien « broyait du noir » quand la porte de sa prison, en s’ouvrant, le fit sursauter. Gravement, avec des gestes courtois, le gros directeur parut, conduisant par la main une jeune fille. Fermant la marche, le scribe se montra portant une table chargée de plats.

Il la posa cérémonieusement devant le captif, avec deux bouteilles contenant un liquide semblable à du vin. Le directeur sourit et du geste invita Lavarède à manger. Puis il poussa devant lui la petite Chinoise. Celle-ci, très intimidée, fixa un instant ses yeux noirs sur le journaliste et, rougissant, ce qui donna à sa jolie peau citron la teinte d’une orange, elle dit, d’une voix basse, en excellent français :

— Je suis Diamba !

— Hein ? fit Armand surpris.

— Je suis Diamba, répéta-t-elle.

— Je comprends bien, mais comment se fait-il que tu parles la même langue que moi ?

— Les bonzes blancs m’ont appris.