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Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/250

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LES ANGOISSES D’AURETT.

Tout en parlant, il avait tiré son revolver et faisait face aux ennemis. Même armé, la partie était inégale maintenant. Deux cents forcenés hurlaient la menace. Il allait tirer quand même, Aurett retint son bras. Comme un éclair, le souvenir de Han, le Céleste rencontré sur le Heavenway, lui était revenu. Elle entendait ses paroles, lorsqu’il lui avait jeté la fleur de lotus.

— Avec cet insigne, vous trouverez des amis partout.

Cette fleur, elle la portait dissimulée dans les plis de son corsage. La prendre et la présenter aux assaillants fut l’affaire d’une seconde, et soudain les clameurs s’apaisèrent, les bâtons levés pour frapper s’abaissèrent lentement. Avant que le gentleman eût pu demander l’explication de ce brusque revirement, la rue était vide, les ennemis évanouis.

Aurett s’amusa de son étonnement, puis elle lui raconta son aventure. Elle la lui avait cachée jusque-là, mais vraiment elle venait d’avoir un si utile épilogue, qu’un père, bien plus sévère que sir Murlyton eût pardonné. Il ne reprocha point à sa fille son équipée à la chambre des morts, et grommela seulement :

— Ce pays ne me convient pas. Trop de sociétés secrètes.

La réflexion ne manquait pas de justesse. Les affiliations sont la plaie de l’empire du Milieu. État dans l’État, elles entretiennent une perpétuelle agitation et les courageux missionnaires qui, par la religion, le langage, cherchent à étendre là-bas l’influence européenne, voient leurs efforts paralysés par un pouvoir occulte. Heureux encore quand eux et leurs élèves ne sont pas déchirés par l’émeute sauvage.

À dater de ce jour, les Anglais purent circuler à travers la ville. Nul n’entravait leur marche, mais instinctivement ils se sentaient surveillés, protégés. Ils eurent la preuve qu’ils ne se trompaient pas. Dans une de leurs promenades, ils s’égarèrent. Très embarrassés, ils cherchaient leur route. Un indigène s’approcha d’eux, les invita par gestes à le suivre, et les amena à leur hôtel. Arrivé là, il s’éloigna sans accepter la pièce d’argent que lui offrait le gentleman.

Cependant la jeune fille s’ennuyait et surtout s’inquiétait. Que devenait Armand ? Quand seule elle s’interrogeait, c’était toujours ainsi qu’elle l’appelait. Tous ses préjugés britanniques avaient fondu en face du danger de mort qu’il courait. Au lieu de résister à son sentiment, comme le veut le cant, elle se laissait entraîner par lui, heureuse et un peu fière de l’âme nouvelle qu’elle se découvrait, et doucement elle répétait l’interrogation du philosophe :