Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/260

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
257
LE LOTUS BLANC.

— Qui est là ? demanda-t-il, non sans quelque émotion !

— Un Français ! s’écria une voix avec une inflexion joyeuse.

— Deux, si j’en juge à votre langage.

— Oui, deux… Qui êtes-vous ?

— Prisonnier… et vous ?

— Prisonnier aussi et prêtre catholique.

Lassé du voyage, Armand dans l’obscurité ne s’était pas aperçu que son cachot contenait déjà un habitant, et celui-ci dormait, ainsi qu’il l’expliqua au voyageur.

Il lui dit son histoire. Missionnaire persécuté par les autorités chinoises. Arrêté sans motif après que les affiliés du Lotus blanc, dans un jour d’émeute, eurent brûlé sa mission et massacré ses compagnons, on l’avait conduit dans cette prison où l’on paraissait l’oublier. Et comme Armand s’indignait, le prêtre murmura doucement :

— Presque tous nous finissons ainsi. Mais les récriminations seraient injustifiées. En venant en Chine, nous savons à quoi nous nous exposons et nous pardonnons d’avance. Les pauvres gens ne savent pas ce qu’ils font. Croiriez-vous que les lettrés eux-mêmes nous accusent de recueillir les enfants, non pour les élever, mais pour les tuer et employer leurs corps à des opérations magiques ? Leurs yeux notamment nous servent, au dire des mandarins, à fabriquer le collodion pour la photographie.

— C’est insensé.

— N’est-ce pas ? Mais cette ignorance qui nous condamne est moins pénible pour moi que la désunion des nations d’Europe. Des écrivains civilisés n’ont pas craint d’approuver les actes de sauvagerie commis par la foule, avec le concours tacite des fonctionnaires.

— Oh ! se récria Lavarède, pas des journalistes français, je suppose ?

— Loin de là. On a écrit que les massacres étaient uniquement dirigés contre les Français et les catholiques, et j’ai en poche une copie de la proclamation qui fut affichée dans le Hou-Nan, quelques jours avant l’attaque de notre mission. Voici ce qu’elle contient :

« Incendions les demeures et les temples des étrangers. Arrachons le christianisme jusqu’à la racine ; punissons les traîtres chinois qui ont embrassé cette religion : bannissons leurs familles en Amérique. L’Allemagne est avec nous »

Un silence suivit ces paroles. Le missionnaire le rompit le premier.

— Laissons ce sujet sombre. Dieu a son but en permettant ces crimes.