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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

On passa la nuit à La-Min, un peu au delà de Tien-Tsing.

Le lendemain, la jonque conduisit l’escorte jusqu’à Bac-Nou, petit bourg qui sert de comptoir à l’importante cité de Pao-Ti.

Enfin, au déclin du troisième jour, on aborda à Toung-Tchéou.

Les voyageurs devaient parcourir par terre les dix-huit kilomètres qui les séparaient encore de Péking. Dans une chaise à porteurs grossière, réquisitionnée par le chef de l’escorte, Armand fut enfermé ; puis, malgré l’heure avancée, toute la troupe se mit en marche.

Il était environ minuit quand Lavarède fit son entrée dans la capitale officielle.

— Ah ! pensa-t-il, nous arrivons. Je ne serai pas fâché de dormir.

Ce souhait ne devait être exaucé qu’après deux heures de promenade dans cette cité. Les rues, désertes à ce moment de la nuit, bordées de murailles de briques servant de clôture aux jardins qui entourent toutes les maisons de la ville impériale, avaient un aspect lugubre. À chacune de leurs extrémités, des chaînes tendues arrêtaient la marche des policiers qui devaient les détacher, puis les replacer avant de poursuivre leur route.

Plusieurs fois, des agents de police vinrent reconnaître les voyageurs. Ils annonçaient de loin leur présence en frappant à coups redoublés un cylindre de bois, dont ces fonctionnaires sont munis. Après un colloque de quelques instants, ils se retiraient. C’est ainsi que Lavarède traversa lentement la ville chinoise et atteignit la large voie qui borde la muraille de la ville intérieure ou impériale. La rue de la Tranquillité, Tchang-Ngaï-Kini, tel est le nom de cette avenue, d’où l’on aperçoit, au delà du mur qui ceint les habitations du fils du Ciel et de sa cour, des toits recouverts de tuiles jaunes ou rouges, suivant qu’ils abritent les membres de la famille impériale ou de simples seigneurs. Les tuiles grises sont l’apanage des maisons particulières.

Devant l’une des trois portes qui relient la King-Tchung, — cité de la cour, — à la Ouéï-Tchung, — ville des sujets, — les policiers se prosternèrent. C’était la Nyang-Ting-Men, ou porte de la Paix, par laquelle entrèrent les alliés en 1860.

Enfin le véhicule où le prisonnier s’impatientait pénétra sous une voûte noire et s’arrêta. On était arrivé. Après quelques formalités de greffe, Lavarède, conduit dans un cachot sombre, put s’étendre sur les planches servant de couchette et s’endormit profondément.

Un choc le réveilla. On eût dit qu’on lui avait porté un coup à la jambe. Il allongea le bras instinctivement. Sa main rencontra une main.