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LE LOTUS BLANC.

l’avait protégée à Takéou, brillait au soleil. La rumeur arriva aux soldats. L’un d’eux étendit son sabre pour barrer le passage à la jeune fille, mais ses regards se portèrent sur la fleur de lotus, et il abaissa son arme. Aurett et son père pénétrèrent dans l’enceinte réservée. C’est à ce moment que Lavarède les aperçut.

Comme la première, la seconde ligne de guerriers s’ouvrit devant eux. Ils atteignirent l’estrade, gravirent les trois marches y donnant accès, et, passant devant les bourreaux stupéfaits, s’approchèrent du banc des suppliciés. On crut à une permission spéciale accordée à ces Européens.

Armand s’était levé. Aurett lui prit les mains dépassant la cangue, et se donnant tout entière avec la simplicité de celles qui aiment :

— Vous m’attendiez, n’est-ce pas ? dit-elle.

Il la considéra, hésitant à répondre, mais ses regards rencontrèrent les regards humides du gentleman, et ainsi qu’un torrent qui éventre ses digues, les paroles s’échappèrent pressées de ses lèvres.

— Oui, je vous attendais, comme au seuil de la nuit on attend la lumière. Je vous attendais, parce que…

Il s’arrêta mais presque aussitôt il reprit d’une voix haletante :

— Ici, je puis parler. Le bourreau me guette. L’adieu ne mesure point les termes, car il est la fin… Dans un instant, la bouche coupable sera close pour jamais. L’expiation et la faute se confondront presque. Je vous attendais parce que je vous aime.


Aurett ferma les yeux. D’un jet la rougeur envahit son visage.

— Pardonnez-moi, continua le malheureux, vous aussi, sir Murlyton. C’est déjà un mort qui vous parle. Qu’à cette heure j’aime ou non, qu’importe ?

La jeune fille répéta sourdement :

— Qu’importe ?

— Ah ! grommela Murlyton c’eût été le bonheur de ma fille !

Et, comme le journaliste l’interrogeait des yeux, Aurett murmura si bas qu’Armand l’entendit à peine :

— Moi aussi, je vous aime.

Le visage du condamné se transfigura. Toutes les joies terrestres s’épanouirent sur ses traits. Tout à coup, il redevint sombre.

— Le bourreau est allé demander des ordres au commandant des soldats ; il revient pour nous séparer et comme le guerrier mandchou frappé à mort, je ne puis que crier : « Adieu, Lien-Koua, mon Lotus blanc !… »

C’était un cri de douleur, de désespérance qu’exhalait le jeune homme.