Aller au contenu

Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/279

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
276
LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

À cette minute décisive, il laissa échapper un cri de joie.

— Pas encore sauter… le plancher…

— Quel plancher ?

— Voyez vous-même.

Armand se baissa et, à son tour, il éprouva un plaisir intense. Sur le fond d’osier de la nacelle, un plancher volant était posé, supportant les banquettes. Plus vite qu’il ne peut être pensé, le plancher fut tiré de son alvéole et jeté par-dessus bord.

Une secousse ébranle l’aérostat et il s’élança au-dessus de la zone orageuse. Maintenant les aéronautes involontaires dominaient la tempête. Ils regardaient, en bas les nuages se ruer les uns sur les autres, dans un assourdissant fracas. Autour d’eux l’air était calme, sans une brise. Mais comme ils s’oubliaient dans la contemplation du spectacle sublime que leur donnait l’ouragan, il se produisit comme un choc violent.

Tous furent précipités, pêle-mêle, au fond de la nacelle et l’aérostat, rencontré par le courant d’air de réaction, fut emporté vers l’Ouest avec une rapidité vertigineuse, incalculable, pendant un temps dont ils ne purent se rendre compte.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Aucun des voyageurs n’eut le courage de se relever. Une sorte de torpeur les clouait à leur place. Les yeux clos, pénétrés par un froid terrible, ils demeuraient immobiles. Leur respiration était haletante, l’air semblait manquer à leurs poumons. Ils n’avaient pas la force de porter à leurs lèvres la gourde, ou presque plus rien ne restait.

— Ah ! bégaya Lavarède, reconnaissant à ces symptômes le « mal des hauteurs », nous sommes au moins à six mille mètres d’altitude.

Il s’agita, essayant de vaincre son engourdissement, mais il retomba inerte à côté de ses compagnons. Tous semblaient morts. Pâles, rigides, des gouttelettes de sang perlant aux narines et aux oreilles, ils restaient couchés, évanouis, au fond de la nacelle, qu’une irrésistible puissance entraînait vers l’Asie centrale.

Le jour succéda à la nuit sans qu’ils fissent un mouvement. De nouveau, l’ombre s’épandit sur la terre. Alors un frémissement parcourut les passagers du ballon, leurs paupières se rouvrirent ; et des voix faibles demandèrent :

— Où sommes-nous ?

— Je n’en sais rien, déclara le jeune homme qui avait réussi à s’asseoir, mais sûrement nous descendons.