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Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/285

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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

— Alors je donne ma langue aux chiens.

Deux par deux, leur marche rythmée par le gong, les prêtres rentraient. Ils portaient avec une gravité sacerdotale des plats et des aiguières d’argent.

— Un vrai défilé de la Porte-Saint-Martin, marmotta le Parisien.

Les lamas n’entendirent pas cette réflexion irrespectueuse. Suivant un rituel extraordinairement compliqué, ils présentèrent les unes et les autres à Armand, en bousculant assez brutalement ses compagnons autour du piédestal.

Le journaliste, avant de se servir, exigea que les Anglais prissent leur part du miel, des fruits, de la venaison dont se composait la collation. Il n’y toucha qu’après eux et tendit enfin les reliefs à Bouvreuil. Raisonnablement, le propriétaire ne pouvait demander à « son débiteur » de se mettre en frais d’amabilité à son égard.

Mais l’acte si simple de Lavarède eut une répercussion bizarre dans l’esprit des prêtres. Dès ce moment, ils reprirent leur attitude obséquieuse à l’égard du gentleman et de sa fille, mais ils ne se génèrent plus pour bourrer l’usurier fort mécontent de cette inégalité de traitement.

Armand s’amusait énormément de la mine déconfite de son ennemi. Hélas ! il devait bientôt envier son sort. Le repas terminé, on apporta une grande grille circulaire, qui fut fixée dans des trous ménagés au milieu des dalles recouvrant le sol, et l’hôte respecté des lamas se trouva en cage.

Oh ! il se fâcha, jura, tempêta. Mais les prêtres couvriront sa voix en psalmodiant un chant liturgique étrange, et recommencèrent à l’encenser au point de presque l’asphyxier. Puis les fidèles emplirent la pagode. Tous se courbaient vers la terre, élevant au-dessus de leur tête leur main gauche armée d’un bâton de bois, sur lequel pivotait un cylindre couvert de signes bizarres.

— Plus de doute, gémit le Parisien, entre deux éternuements provoqués par la fumée odorante dont on le comblait, je suis passé bon Dieu. Voilà les moulins à prières.

Et ce fut ainsi jusqu’au soir… À la nuit, Lavarède, exténué, fut débarrassé de sa prison grillée et laissé libre de goûter un repos bien gagné.

— Si j’avais su, dit-il à ses amis, avant de s’endormir, comme j’aurais hissé M. Bouvreuil sur la table de marbre !… Il jouerait les bouddhas à ma place… Au fait, pourquoi m’impose-t-on ce rôle ?

— Ah ! voilà !

— Et je n’ose pas désabuser mes adorateurs. Si j’essayais de les