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Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/286

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LE PAYS DES LAMAS.

détromper, ils me traiteraient en imposteur… C’est atroce d’être adoré comme ça. Le mieux est de déguerpir sans tambours ni trompettes.

Un regard jeté au dehors lui prouva malheureusement que la chose serait difficile. Des guerriers veillaient autour de la pagode… Toutes les précautions étaient prises pour empêcher une évasion.

Le lendemain, le journaliste, ne trouvant qu’une satisfaction insuffisante à traiter Bouvreuil en domestique, voulut refuser de se laisser encager. Mais alors à grands renforts de salamalecs, les lamas s’emparèrent de sa personne, lui garrottèrent les chevilles et les poignets et l’exposèrent ainsi à l’admiration des bouddhistes.

Plusieurs jours se passèrent ainsi. Tant que le journaliste se prêtait aux admirations de la foule sans cesse grossissante, il était choyé, bourré des mets les plus délicats, abreuvé d’excellents vins de la vallée du Gange. Mais s’il essayait de se soustraire aux prières, s’il prétendait sortir de la pagode, les lamas le ligotaient respectueusement et surtout étroitement.

Dire son exaspération est impossible. Les Anglais la partageaient du reste, étant aussi prisonniers que lui. Seul Bouvreuil s’esbaudissait ; il était libre d’aller et de venir. Personne ne s’inquiétait de ses faits et gestes.

— Allons ! mon cher monsieur, disait-il, lorsque le Parisien s’emportait, un peu de patience. L’année fixée par feu votre cousin est déjà fortement entamée. Aussitôt qu’elle sera échue, j’emploierai ma liberté à vous rendre la vôtre. Figurez-vous que vous faites un peu de prison pour dettes.

Bien entendu, le propriétaire ne se livrait à ces facéties que lorsque les barreaux de la cage sacrée lui assuraient l’impunité.

Une fois cependant mal lui en prit. Sir Murlyton, très monté pour son compte, lui décocha un de ces coups de poing dont ses compatriotes ont le secret. Les lamas jugeant aussitôt que ce serviteur, dont ils ne daignaient pas s’occuper, avait offensé les puissants seigneurs grâce auxquels la pagode réalisait de brillants bénéfices, lui administrèrent, au pied de l’autel de marbre où trônait Armand, un nombre considérable de coups de matraque.

Ce fut une aimable distraction pour Lavarède, mais cela ne l’empêcha pas de demeurer captif.

Aidé de ses compagnons, il tenta de griser ses gardiens, de tromper la vigilance des factionnaires ; et ne réussit qu’à rendre plus obsédante la surveillance dont il était l’objet.

Une tristesse mêlée de rage impuissante s’emparait de lui, et l’on ne sait à quelles extrémités il se serait porté… quand, le soir de la vingt-deuxième journée, un incident vint lui rendre l’espoir.