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Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/291

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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

premières chaleurs d’avril pour se mettre en marche. Aussi les Thibétains ont-ils coutume, au commencement de la période désolée, d’implorer la clémence de Bouddha.

Le 1er décembre, Lavarède revêtu de superbes habits, coiffé d’un bonnet orné d’un diamant presque aussi beau que le « Régent de France », fut exposé sur l’autel de marbre vert aux supplications de la foule. Le dieu vivant avait déterminé une recrudescence de piété dans la contrée. La pagode regorgeait de monde et les lamas impassibles à la surface, réjouis au fond, encaissaient les présents entassés aux pieds du journaliste. Tout à coup celui-ci étendit la main.

— Rachmed, dit-il, transmettez mes paroles à ce peuple aimé du ciel.

Au bruit de sa voix, toutes les têtes se levèrent ; les moulins à prières cessèrent de tourner, et les prêtres, stupéfaits de voir se produire un incident non prévu dans les onze mille sept cent quarante articles du rite, prêtèrent l’oreille. Armand parlait et fidèlement le Tekké traduisait ses paroles :

— « Vaillants hommes du Thibet et vous femmes, leurs incomparables compagnes, écoutez. De votre accueil, de votre foi, ma divinité est heureuse. Roulé dans les voiles bleus de l’éther infini, je voyais approcher à regret le temps prédit de mon exil volontaire sur le globe terrestre. Maintenant je ne regrette plus le céleste séjour ; le feu de vos âmes croyantes illumine pour moi cette terre d’éblouissantes clartés. »

Malgré la sainteté du lieu, un murmure approbateur accueillit cet exorde flatteur.

Le Parisien échangea un regard avec miss Aurett, assise, comme son père, auprès du cube de malachite et reprit :

— « Je veux de cette saison affreuse où nous entrons faire un doux printemps, des bises glaciales de tièdes zéphyrs. Je veux rendre aux arbres dénudés leur parure verte, semer le sol durci de riants parterres et répandre sur vous la joie, l’abondance et l’amour. »

À ce tableau enchanteur un long frémissement secoua l’auditoire. Rachmed attacha sur Armand un regard inquiet. Celui-ci n’eut pas l’air de s’en apercevoir et grossissant sa voix :

— Les Djinns, révoltés contre mon autorité, se sont armés des fléaux qui désolent le monde. L’heure est venue où ils seront anéantis. Lamas qui m’entendez, faites porter dans la pagode le char aérien qui m’a amené. Avec mes compagnons je le remettrai en état d’effectuer le grand voyage, et mon serviteur, — il désigna Bouvreuil ahuri, — s’en ira dans l’espace