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LE PAYS DES LAMAS.

— Pourquoi cela ? demanda le Tekké surpris.

— Obéissez et vous le saurez.

Le grand-prêtre se prêta volontiers au caprice de son Bouddha d’occasion, et quelques instants plus tard, le Parisien, les Anglais et l’interprète, assis sur des nattes autour d’une table ronde laquée, dînaient de grand appétit. Dans un coin de la salle, le père de Pénélope mangeait seul.

Les mets étant dressés en face des convives, les « aïmanas », ou novices chargés des gros ouvrages, s’étaient retirés.

Armand désigna Bouvreuil du regard et, se penchant vers ses amis, prononça quelques mots rapides à voix basse. La surprise se lut visiblement sur les visages de Murlyton et d’Aurett. Quant à Rachmed, il secoua la tête.

— Jamais ils ne se prendront à cela !

Un sourire incrédule du dieu accueillit cette appréciation.

— Vous vous trompez. Ils consentiront.

— Comment cela ?

— Traduisez bien mes paroles demain, et vous verrez !

— Que direz-vous ?

— Je n’en sais rien encore. Mais je suis décidé à circonvenir ces bons lamas et il ferait beau voir qu’un citoyen du boulevard des Italiens ne triomphât pas de ces magots parcheminés.

Le dîner achevé, le Tekké, peu convaincu, prit congé des voyageurs et tous éprouvèrent une émotion singulière en se disant :

— À demain !

L’hiver est le plus terrible ennemi du Thibétain. Sur les plateaux dont les portions les plus basses se trouvent à la hauteur du sommet du Mont-Blanc, le froid sévit en maître de novembre à avril. Les rivières se gèlent, les sources obstruées se frayent un chemin souterrain. La température descend la nuit jusqu’à −40 degrés et à quelques lieues autour de Lhaça la végétation disparaît.

L’homme assez audacieux pour s’engager dans le désert glacé ne rencontre aucun arbre pour alimenter le feu de son campement. Il lui faut chercher les traces des caravanes d’été et recueillir péniblement la fiente des yaks, seul combustible connu en ce pays maudit.

Les rares vallées perdues dans la solitude des hauts plateaux souffrent aussi du froid. Les arbres, peupliers creux et sapins, éclatent et meurent sous l’action de la gelée ; le bétail dépérit et les habitants manquent parfois du strict nécessaire, car les caravanes qui les ravitaillent attendent les