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Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/294

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LE PAYS DES LAMAS.

et rapportera les talismans invincibles accumulés pendant des siècles, en prévision de cette lutte par les esprits bienfaisants.

— Comment… comment ? protesta le propriétaire, moi, en ballon, tout seul, jamais !

Un coup de bâton lui coupa la parole. Le Tag-Lama le rappelait aux convenances.

Un brouhaha s’était élevé et, dans le bourdonnement des voix, Armand put murmurer de façon à être entendu d’Aurett seule :

— Comme Bouddha, je crois être assez symboliste !

Cependant les promesses du dieu circulaient. Au dehors éclataient en fusées de grands cris d’allégresse.

Sceptiques par caractère, les prêtres durent néanmoins céder à la pression populaire. Le soir même Lavarède rentrait en possession de son aérostat. L’enveloppe était en piteux état. De longues déchirures zébraient sa surface brillante ; mais un examen attentif démontra que les avaries étaient réparables avec du fil, des aiguilles, de la gomme et… de la patience.

À dater de ce moment, tandis que le journaliste, frimait le maître du ciel, miss Aurett et le gentleman passèrent leur temps à repriser la soie de l’aérostat. Tâche ingrate et peu faite pour égayer. Pourtant, le soir, quand, réunis autour du brasier de cuivre qui chauffait les appartements, nos voyageurs se regardaient, ils avaient dans les yeux des pétillements joyeux.

Le 24 décembre, le ballon était prêt. L’enveloppe supportée par une corde tendue entre deux perches se balançait dans la cour, dominant sa nacelle pourvue d’armes, de vêtements chauds, de provisions diverses, dons des pieux Thibétains. Sous l’ouverture inférieure était fixée une sorte de récipient, destiné à recevoir l’alcool de riz dont la combustion produirait l’air chaud nécessaire à l’ascension. À défaut de gaz hydrogène, le journaliste avait indiqué ce moyen primitif. L’aérostat devenait montgolfière.

Le faux Bouddha avait annoncé dans la journée que son serviteur s’élèverait le lendemain dans les airs, et on avait convié les fidèles à assister à cette cérémonie.

Les lamas, très inquiets d’abord, s’étaient rassurés. Ils croyaient maintenant aux fallacieuses promesses d’Armand et le lui prouvaient par des saluts plus profonds, des agenouillements plus prolongés. Enfermé avec les Anglais et Rachmed, le jeune homme leur disait :

— Nul ne se défie de nous, maintenant. Les prêtres vont regagner leurs cellules et l’intérieur de la pagode sera désert. À minuit le Tag-Lama se rendra près de moi, sur la prière que je lui en ai faite.