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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

— Le feu ! s’écria Lavarède, nous sommes sauvés.

Alors par une des lucarnes ménagées à la partie supérieure de l’édifice, trois personnages, sommairement vêtus, surgirent et se mirent à courir sur le faîte en poussant des cris épouvante.

— Le lama ! dit Armand.

— Et le chef chinois ! ajouta miss Aurett.

— Et le seigneur Bouvreuil ! s’exclama l’Anglais.

Ces malheureux, en chemise par une nuit glaciale, étaient en effet les ennemis des voyageurs. Dans sa courte lutte avec l’officier, Lavarède avait renversé le brasier servant à chauffer la pièce. Pressés de s’éloigner, ni lui ni ses compagnons n’avaient fait attention à cet accident ; et le feu, trouvant en ce palais de bois un aliment, s’était propagé avec rapidité.

Aux cris des Chinois, garrottés mais mal bâillonnés, Bouvreuil réveillé était venu. Il avait délivré les deux pauvres diables… Les murs, la porte accédant à la cour brûlaient déjà. D’étage en étage, les trois hommes auraient monté, poursuivis par les ronflements de la flamme, et ils atteignirent le toit juste à temps pour assister au départ des auteurs de leurs maux.

Tandis qu’on organisait le sauvetage, l’aérostat s’élevait toujours, et s’engouffrant dans les nuages qui ouataient le ciel, disparaissait à tous les yeux.

Au matin, il ne restait du temple qu’un monceau de débris calcinés, fumant encore sur la rive gelée du Tangu-Nor. On chercha Bouvreuil, il avait disparu. Sentant bien qu’après les événements accomplis sa position ne serait plus tenable, le propriétaire s’emparant de vêtements sacerdotaux, avait pris la fuite se dirigeant toujours tout droit vers le Sud, avec l’espoir de gagner l’Hindoustan ou la Birmanie anglaise. Son portefeuille était resté dans ses vêtements consumés par le feu, à peine avait-il pu ramasser quelques papiers, et, tout en courant pour combattre le froid intense de la nuit, il songeait :

— Volé par José, dépouillé par l’incendie, mon voyage me reviendra à cent mille francs… Et mon insaisissable gendre chevauche à présent sur les chemins du pays des oiseaux ! Et moi je vais peut-être mourir de faim, ou être assassiné ! Non, ma pauvre Pénélope ne saura jamais combien il est difficile d’établir une jeune fille !

Laissant Lhaça à l’est, Bouvreuil traversa le lit glacé de l’Irarudnambo et s’enfonça dans les gorges de Palhé, s’efforçant à l’aide des étoiles de ne pas perdre sa direction.