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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

— Le ballon brûle !…

Tous furent debout en une seconde et leurs regards se portèrent sur l’enveloppe. Le terrible agent de destruction gagnait du terrain, découpant dans l’étoffe un cercle irrégulier. Personne ne parlait. L’incendie est terrible sur terre, mais encore il permet la lutte. L’espoir de fuir subsiste, tandis qu’en plein espace, avec l’abîme sous les pieds, pris entre la peur du feu et l’épouvante de la chute, l’homme perd tout courage, toute initiative. Une sorte de fatalisme enchaîne sa pensée. La mort est là, il s’abandonne à elle. Tous demeuraient comme cloués sur place.

— Adieu, père, adieu, monsieur Lavarède !… fit miss Aurett d’une voix faible.

Ces mots qu’elle avait prononcés les dents serrées, appel suprême de sa faiblesse de femme, rompirent le charme. On chercha à se défendre. La corde qui reliait la soupape à la nacelle avait été respectée par la flamme. Armand la saisit et d’un coup sec fit manœuvrer l’appareil. Un mouvement de descente accentué se fit aussitôt sentir.

Mais le courant d’air qui se produisait de bas en haut activait le travail de la flamme. Toute la partie inférieure du ballon était consumée. L’aérostat devenait un simple parachute bordé d’un cercle flamboyant.

Immobiles, la poitrine contractée, les passagers assistaient au sinistre. Leur situation était épouvantable. Ils étaient perdus dans les ténèbres, sans moyen de connaître leur distance de la terre, soutenus par une frêle enveloppe de soie dont le diamètre diminuait à chaque instant. Aucun supplice ne peut donner une idée de la torture morale de l’homme suspendu dans le vide et attendant d’être précipité.

Un choc se produisit enfin, le parachute oscilla une minute, puis sous la poussée du vent s’abattit dardant à une hauteur considérable une flamme aussitôt éteinte. Mais, si rapide qu’eût été la lueur répandue, les voyageurs avaient eu le temps d’entrevoir une plaine à la surface lisse et brillante.

— Un fleuve gelé, déclara Rachmed.

— Alors, répliqua Lavarède, déjà maître de son émotion, gagnons la rive et attendons le jour.

Ce disant, il coupait les cordages reliant la nacelle aux débris de l’enveloppe, et, invitant ses compagnons à l’imiter, il tirait ce véhicule d’un nouveau genre.

— Il ne s’agit pas de perdre la tête, dit-il… Nos provisions, nos armes, nos fourrures, les tentes, tout est là-dedans…

Avec l’aide de Murlyton et du Tekké, il amena la nacelle jusqu’au