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DU TARIM À L’AMOU-DARIA.

Le froid était pénétrant. Le jeune homme se mit à marcher pour se réchauffer.

Une demi-heure environ, il pratiqua cet exercice, tournant souvent la tête du côté de Beharsand. Continuant son ascension vers le zénith, le soleil lançait ses flèches d’or dans les vallons, chassant les ténèbres de leurs dernières retraites. La plaine devint visible. Les yeux du journaliste parcoururent sa surface aride, parsemée d’éblouissantes plaques de neige, et soudain son regard se fixa.

Au loin, dans une buée, quelque chose se mouvait, avançant avec rapidité. Cela n’avait pas de forme précise, mais Armand ne s’y trompa pas. Il courut aux tentes et secouant les dormeurs :

— Alerte, les voici !

En un instant, ses compagnons furent sur pied, les yaks chargés, et tous s’engagèrent dans le défilé.

C’était un passage étroit, une déchirure du granit causée par quelque crise géologique. Parfois les bêtes de somme avaient juste assez de place pour se glisser entre les murailles abruptes.

Le sol accusait une pente très forte.

À un détour du chemin, la gorge devint corniche, courant le long d’une falaise perpendiculaire et dominant un abîme.

— L’endroit est bon, murmura Lavarède avec un sourire.

Et s’adressant à Rachmed :

— Le sac à la vaisselle cassée, je vous prie.

Le guide le lui passa et le Parisien le vida méthodiquement, de façon à couvrir une dizaine de mètres de terrain de fragments hétérogènes qu’il contenait.

— Que signifie cette cérémonie ? hasarda l’Anglais qui avait suivi l’opération avec surprise.

— Vous vous en apercevrez tout à l’heure, pour le moment, en route ! Avant un quart d’heure les guerriers de Lamfara seront ici.

En effet, le bruit éloigné du galop des chevaux montait jusqu’aux voyageurs. Ils se remirent en marche. Le chemin, obéissant aux caprices du rocher, se déroulait sinueusement. La petite troupe atteignit un point d’où l’on dominait l’endroit où elle avait fait halte. Armand étendit la main :

— Arrêtons-nous !

— Mais les Kirghiz ?

— Ils ne parviendront pas où nous sommes. Regardez en bas, vous allez rire.