Aller au contenu

Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/327

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
324
LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

Les cavaliers ennemis s’engageaient sur la corniche. En tête se trouvait Lamfara. Il aperçut les Européens et les montra à ses hommes. Un hurlement de triomphe fit gronder les échos de la montagne. Aurett était devenue d’une pâleur de cire.

— Ne craignez rien, redit Armand, ils ne passeront pas.

Avec une témérité inouïe, les cavaliers maintenaient leurs montures au trot.

Soudain les chevaux s’arrêtèrent, produisant une bousculade. Deux bêtes perdirent pied et dévalèrent la pente, entraînant leurs maîtres dans une chute vertigineuse.

Lamfara, immobilisé comme ses soldats, s’agitait furieusement sur sa selle, éperonnant son cheval avec rage. Peine inutile, l’animal semblait pétrifié. Lavarède fit entendre un éclat de rire.

— Vous voyez. Ceci est un souvenir de ma vie militaire. Pour arrêter la cavalerie, parsemez la route de tessons de bouteilles. Dans la traversée d’un village, jetez dans la rue toutes les chaises, pas un cheval ne passera. En Afrique les zouaves ont obtenu le même résultat avec des billes de plomb coupées en quatre.

Tout en parlant, il armait son fusil.

— Ce n’est pas le tout d’empêcher le mouvement en avant de l’ennemi, il faut l’obliger à battre en retraite.

Il fit feu. Un homme tomba. Murlyton et Rachmed saisirent leurs armes et, durant quelques minutes, une grêle de balles s’abattit sur la bande kirghize. Déjà démoralisés par le brusque arrêt des chevaux, dont la cause leur échappait, les guerriers tournèrent bride, laissant sur le sol une douzaine de morts.

Seul le chef était resté.

Abandonné des siens, il ne voulait pas céder. Sautant à bas de sa monture, il se mit à gravir la pente à pied.

Tous le regardaient avec une vague tristesse. L’homme courageux qui marche à la mort émeut ceux-là même qui vont le frapper. Armand s’était placé devant la jeune fille, la couvrant de son corps.

Arrivé à cinquante pas, Lamfara épaula, visant lentement. Le Parisien s’empressa de l’imiter. Les deux détonations se confondirent, et le Kirghiz, étendant les bras, tomba sur les genoux. Mais par un brusque effort il se releva, fit de la main comme un geste d’adieu, et se renversa en arrière dans le vide.

Et, tandis que son corps roulait, rebondissant de rocher en rocher, les