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Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/33

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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

malgré leur apparence plaisante. Où se dirige la Lorraine pour le moment, vers Lisbonne ?

— Non, Lisbonne est l’escale des Messageries ; notre première escale, à nous, est Santander.

— Est-ce que nous prendrons des passagers là ?

— Oh ! non, il n’y a plus de cabines. Une seule est disponible, mais elle a été retenue télégraphiquement par un voyageur qui nous attend aux îles Açores, où nous toucherons après avoir vu le Portugal.

— Ce voyageur est-il Français ? est-ce un compatriote ?

— Je ne le pense pas… du moins à en juger par son nom, ou plutôt par ses noms : Don José de Courramazas y Miraflor.

— Oh ! oh ! Cela sent en effet son hidalgo.

La traversée se poursuivit sans encombre ; le surlendemain du départ, on était en vue de la côte d’Espagne ; on atterrissait à Santander, où l’on devait rester un jour, et nos amis débarquèrent.

La belle floraison de ce pays, le ciel d’un limpide azur n’étaient pas ce qui les étonna le plus. C’est en visitant la cathédrale-mayor de Santander qu’ils trouvèrent leur plus curieuse impression de voyage.

Moyennant un franc vingt-cinq, Murlyton acheta au bedeau une indulgence, portant absolution pour le crime d’assassinat. Il avait le droit de tuer un homme et d’aller au ciel tout de même, mais à la condition de ne pas quitter Santander ; hors du diocèse, l’indulgence n’est plus valable.

Lavarède s’en amusait fort en revenant de visiter la ville pour se rembarquer avec les deux Anglais. Mais au moment où la Lorraine, accostée à quai, allait virer vers la pleine mer, un incident se produisit, qui ne laissa pas de l’inquiéter et de lui faire oublier la pittoresque acquisition.

Une voiture du pays, basse avec de grandes roues, accourait à fond de train. Elle contenait un voyageur à l’œil hagard, à l’air égaré, aux cheveux en désordre, à qui sa barbe, poussée depuis trois ou quatre jours, donnait une singulière apparence. On eût dit un fou ou un malfaiteur.

C’était Bouvreuil.

Il sauta de voiture, s’élança sur la planche, et parut sur le pont du paquebot, en criant :

— Le capitaine ?… Où est le commandant ?

— Le commandant est encore à terre, dit un matelot, il fait signer les papiers par le correspondant. On démarre dès qu’il sera rentré à bord.

— Mais je veux parler à une autorité.

— Eh bien, voici le second. Adressez-vous à lui.