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Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/347

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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

— Attendez, vous me remercierez ce soir, dit M. Djevoï.

— Ce soir ?

— Oui, après dîner, car je vous emmène. Je pourrais vous garder ici, chez moi, mais cela ne vous ferait pas le même plaisir.

— Ma foi, s’écria Lavarède, vive la Russie ! ce pays hospitalier où l’on semble m’être reconnaissant de voyager sans payer ma place.

— Nous faisons ce que nous pouvons, mais à partir de Bakou, il n’en sera peut-être plus ainsi. Militaire à l’origine, la ligne du Caucase a aujourd’hui des actionnaires. Le contrôle y est très sévère ; et un agent convaincu d’une tolérance comme celle dont vous avez bénéficié jusqu’ici courrait de gros risques.

— Diable ! diable !

Un instant assombri, le visage d’Armand s’éclaira d’un sourire. Il eut un mouvement de tête comme pour dire :

— Nous verrons bien.

Puis il suivit son nouvel hôte. Certes, le directeur du Caucase-Mercure n’avait pas eu tort d’affirmer que le journaliste lui serait obligé de dîner en ville. Il le conduisit dans une maison tenue par un Français qui se surpassa pour son compatriote. Après les ragoûts internationaux, un dîner à la française était un régal et le voyageur y fit honneur.

Couché, hébergé par son aimable amphitryon, Armand attendit patiemment le moment de s’embarquer.

Le 11, il montait à bord de la Feodorowna-Pablewna, vapeur à destination de Bakou, où sir Murlyton et Aurett l’avaient déjà précédé. M. Djevoï veilla lui-même a son installation et ne le quitta qu’au moment de l’appareillage.

Encore que la saison fût avancée, le ciel se montra clément et la traversée fut exempte d’incidents fâcheux. La Caspienne, la mer d’Hyrcanie, que les alluvions du Volga et de l’Oural combleront un jour, demeura unie comme une glace et, le 13 février, vers midi, la Feodorowna-Pablewna entra dans le port de Bakou.

Le capitaine Constantin dut prendre congé de son ami. Un ordre de son colonel l’avait rappelé à Tiflis et il ne pouvait s’attarder. Lavarède le conduisit à la gare, espérant rencontrer un chef aussi aimable que Karine, mais il s’aperçut bien vite que M. Djevoï lui avait dit la vérité. Sur la ligne du Caucase on ne circule pas sans payer sa place. Comme le chef de gare, fonctionnaire civil, lui faisait, courtoisement d’ailleurs, cet aveu pénible, le journaliste remarqua deux hommes arrêtés sur le quai dont l’allure le frappa.