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LE TRANSCASPIEN.

Un instant après, les vingt cosaques de la stanitza, ou village militaire, se lançaient à fond de train, debout sur leurs montures, le haut du corps en avant. L’un jetait en l’air son sabre et le rattrapait au vol par la poignée, l’autre faisait faire un moulinet vertigineux à son fusil, puis, sans viser, tirait et atteignait le but. Plusieurs sautaient à terre et sans ralentir l’allure se retrouvaient en selle, les plus agiles ramassaient leur fouet ou leur poignard toujours au triple galop. Le spectacle était aussi curieux que saisissant, et Lavarède, enthousiasme, battait des mains aux exploits des hardis cavaliers.

Lorsque cet intermède prit fin, un sous-officier du bataillon vint annoncer que la voie était remise en état, et le train repartit. À la nuit on atteignit Askalbad. Un instant les voyageurs considérèrent ses rues animées, les grands chameaux à l’œil endormi, circulant avec précaution au milieu de la foule bigarrée.

Puis, le paysage se noya dans l’ombre. À Géok-Tépé, Armand ne put apercevoir la citadelle turkomane aux murs déchirés par les deux brèches que franchirent les soldats de Skobelev.

Quand le jour vint la locomotive filait de nouveau en plein désert.

À un moment, le train s’arrêta. Le Français mit la tête à la portière et s’étonna de ne trouver sous ses yeux qu’une isba peinte en bleu clair et une citerne de tôle.

— Il n’y a pas de station, expliqua Karine. Nous sommes à un arrêt d’approvisionnement : la machine prend de l’eau, voilà tout.

— D’où vient-elle, l’eau ?

— D’Ozoun-Ada. Il y a des trains qui transportent des citernes mobiles sur les points du désert où il serait impossible sans cela d’alimenter les locomotives. Les gardiens de ces postes en boivent également.

— Pauvres gens, combien triste est leur existence dans ces solitudes, murmura Aurett.

Il faisait nuit lorsque, après avoir franchi la station de Mikaïlowsk, les voyageurs atteignirent Ozoun-Ada. Le capitaine connaissait la ville. Il déposa les Anglais dans un hôtel près du port, puis il conduisit le journaliste chez M. Djevoï, auquel le chef de gare l’avait recommandé.

Le directeur de la ligne Caucase-Mercure fit aux voyageurs l’accueil le plus cordial. Mis au courant de la situation par Karine, il déclara que le Français prendrait passage sur un des bateaux dont le départ avait lieu le lendemain et lui remit un ticket donnant droit à la traversée et à la nourriture. Armand se confondit en remerciements.