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LA MAFFIA.

— Ces titres : seigneurie, excellence ! conviennent à ce galantuomo et à la signorina, sa fille, gens riches, très riches, colossalement riches.

Le gentleman tira Lavarède par la manche et d’une voix contenue :

— N’ajoutez pas un mot, elle va me demander un prix de nabab.

— Mais non, rassurez-vous, fortune colossale en italien signifie dix mille francs de rente.

Et plus souriant, plus aimable, plus enveloppant que jamais :

— Moi, au contraire, je ne suis qu’un poète. Povero ! Fuyant le mercantilisme de mon pays, je viens demander à l’Italie, mère des arts, sa protection. De vous, cara signera, belle comme l’étoile du soir, suivante fidèle de Phoebé, je sollicite un lit pour délasser mes membres endoloris, un toit pour abriter ma tête.

Doucement remuée par les compliments amphigouriques du journaliste, Gabriela hésitait cependant. Il fallait porter le dernier coup. Prenant sa voix la plus insinuante, le Français reprit :

— Parisienne comme vous l’êtes de mise…

L’hôtelière prit une pose avantageuse. Dans toute l’Europe ce mot « Parisienne » représente un idéal critiqué à voix haute, envié tout bas.

— … Vous l’êtes sûrement d’esprit. Vous possédez évidemment un album. J’y mettrai des vers. Comme l’oiseau, le disciple d’Apollo paie en chansons.

— Vous feriez cela ? clama la grosse femme haletante.

— Tout de suite.

Et d’un air inspiré, les bras étendus dans une attitude d’adoration, Armand, délaissant la langue de Dante pour celle de Gavroche, susurra ce quatrain bizarre que les Anglais eurent la force d’écouter sans rire :

— Aux yeux charmeurs de l’étincelante signora Gabriela :

Tes yeux sont les plus beaux de la Sicile, et ils
Possèdent par bonheur un peu plus de six cils.
Chacune en est jalouse, aucune en toilette n’a
dans ses regards brûlants, ainsi que toi, l’Etna !

D’une poésie italienne, Gabriela aurait fait peu de cas, mais ces vers français, aux redondances cocasses, dont elle ne comprenait pas un mot, la subjuguèrent. Elle offrit au jeune homme la meilleure chambre de l’hôtel. Il dût se fâcher pour qu’elle consentit à lui consacrer seulement une mansarde. Le soir, elle réunit ses meilleures amies, quelques dames du haut commerce messinois. Tout heureuse de jouer à la protectrice des arts, elle