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Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/406

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LA MAFFIA.

couvreur et dans une chute s’était brisé la tête. Depuis des semaines elle luttait et ce jour-là, désespérée, vaincue, elle s’était décidée à tendre la main. Elle avait eu confiance en la bonté de l’étrangère blonde, à l’air doux, et elle était venue à elle. Le corricolo avait quitté les quartiers riches. Il roulait à travers un dédale de ruelles étroites, sinueuses.

Sur le pas des portes, aux fenêtres, on voyait apparaître des hommes, des femmes, vêtus de haillons. Ils lançaient sur les passants des regards acérés ; puis, en apercevant l’Italienne dans la voiture, ils riaient sans bruit, montrant leurs dents blanches.

— Nous sommes arrivées, dit la mendiante répondant à une demande que sa compagne n’avait pas formulée.

En effet, on s’arrêta presque aussitôt devant une maison de triste apparence, aux murs décrépis, à la toiture gondolée.

— C’est ici, fit-elle encore, venez et sauvez-les.

Aurett sauta à terre et suivit sa conductrice à l’intérieur. À l’extrémité d’un couloir sombre, celle-ci ouvrit une porte et les deux femmes se trouvèrent dans une chambre étroite, où l’air renfermé prenait à la gorge.

Un roulement se fit entendre dans la rue. Aurett esquissa un mouvement vers l’entrée, mais déjà la mendiante lui barrait le passage.

— Ce n’est rien, signorina, j’ai renvoyé la voiture.

— Renvoyé… pourquoi ?

— Inutile d’indiquer aux bersaglieri le lieu de votre retraite.

Une lueur traversa le cerveau de la jeune fille.

— Ah ça ! prétendriez-vous me retenir ici ?

Un ricanement de l’Italienne lui répondit et soudain la pièce s’éclaira. La mendiante avait allumé une lampe. Avec terreur, l’Anglaise aperçut six hommes immobiles. Les considérant attentivement, elle vit que deux lui étaient connus.

— Monsieur Bouvreuil, murmura-t-elle, et ce José !…

Souriant, l’usurier s’approcha d’elle :

— Vous n’avez pas à trembler, mademoiselle ; un séjour de vingt-quatre heures dans cette bicoque ne peut passer pour une chose agréable, mais nous ferons en sorte que vous n’y manquiez de rien.

Comme elle le regardait stupéfaite, avec un mélange de mépris et de crainte ; il ajouta :

— Moyennant cent louis, votre père vous reverra.

— Comment ? balbutia Aurett, retrouvant la voix, vous faites aussi ce métier-là ?