Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/414

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
411
LA MAFFIA.

— Lisez, mon ami.

Armand déchiffra ces lignes tracées d’une grosse écriture maladroite.

« Illustrissimo Signor,

« Un trésor était égaré ; c’est de votre figlia carissima qu’il s’agit. Nous avons été assez heureux pour la rencontrer et sommes disposés à la remettre entre vos mains. Séparé d’elle, vous deviez souhaiter la mort ; nous vous rendons la vie, et vous supplions humblement en échange d’assurer l’existence à de pauvres gens, qui béniront Votre Excellence. Une signora Inglese, appartenant au premier peuple du monde et à une des premières familles de ce peuple, a une valeur immense.

« Nous croyons donc être modérés en sollicitant de Votre Grâce la remise, contre la giovinetta, de quarante mille livres sterling. Vous ne portez pas pareille somme sur vous, mais votre parole appuyée d’une promesse sur papier timbré, suffira à nous remplir de joie. Votre mouchoir attaché à la barre d’appui, de votre fenêtre signifiera acceptation. Si d’ici à ce soir vous n’avez pas cru devoir faire ce signal, nous ferons les frais d’un linceul pour confier à la terre l’incomparable joyau que la Santa Maria beata a remis entre nos mains. »

— Les misérables ! gronda sourdement le jeune homme.

Puis haussant les épaules avec son insouciance d’artiste pour le veau d’or :

— Les cris sont inutiles. Ils demandent un million, il faut payer.

— Payer, répéta l’Anglais d’une voix rauque…

Lavarède le considéra avec étonnement. Il crut à une révolte de l’homme qui possède, et non sans sécheresse :

— Ils la tueront sans cela… Préférez-vous donc votre or à votre fille ?

Mais il regretta aussitôt ses paroles. Le gentleman avait pâli sous l’outrage, et se tordant les mains, il gémissait.

— Mon or ! Si j’avais la somme je la donnerais, quitte à me remettre au travail pour refaire ma fortune. Mais en réunissant tout ce qui est à moi, je trouverais à peine trente mille livres. Et ils ne me croiront pas, ces bandits puisque vous-même vous m’avez soupçonné !

Le jeune homme saisit les mains de son interlocuteur, les serra vigoureusement et, courant à la fenêtre, il fixa son mouchoir sur la barre d’appui.

— Que faites-vous ? s’écria Murlyton, puisque je vous affirme que je n’ai pas…

Il s’arrêta. Lavarède le regardait en souriant.