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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

— Mademoiselle votre fille est hors de cause, monsieur ; ce n’est pas le mariage qui me répugne, ni la demoiselle que je refuse, c’est le beau-père.

— Savez-vous que vous n’êtes pas poli, monsieur Lavarède ?

— Savez-vous que je m’en moque absolument, monsieur Bouvreuil ?

Le propriétaire avait en réserve un dernier argument. Lentement il étala un certain nombre de papiers timbrés, les uns blancs, les autres bleus, des originaux et des copies, dont il commença l’énumération :

— Ici, outre vos trois quittances de loyer en retard, voici diverses créances que j’ai rachetées afin d’avoir barre sur vous. Toutes vos dettes sont payées.

— Vous êtes vraiment bien aimable ! fit ironiquement le jeune homme.

— Oui, mais je suis votre unique créancier. Si vous épousez Pénélope, je vous remets le dossier. Si vous refusez, je vous poursuis à outrance.

— Poursuivez donc à votre aise.

— Il y en a pour vingt mille francs. Avec les frais que je vous ferai, la somme ne tardera pas à être doublée.

— Vous connaissez à merveille les choses de justice, à ce que je vois.

— Il faut absolument que vous preniez une décision à très bref délai, car je dois partir incessamment pour Panama : un syndicat d’actionnaires m’a chargé d’une enquête sur place.

— Ce syndicat a singulièrement placé sa confiance, voilà tout. Quant à ma décision, je crois vous l’avoir déjà fait connaître assez nettement pour n’avoir pas à y revenir. Donc brisons là, cher monsieur, nous n’avons plus rien à nous dire… Allez chez votre huissier, allez chez vos huissiers, vos avoués, chez vos avocats. Allez vous repaître de papier timbré, cette nourriture vous est favorable. À moi elle est indigeste. Bonjour !

M. Bouvreuil ramassa ses paperasses, mit son chapeau, sortit et fit battre la porte. Il n’était pas content.

Par les répliques échangées ci-dessus, on connaît suffisamment M. Bouvreuil, un de ces types d’enrichis sans scrupules, à qui l’argent ne suffit pas, et qui ambitionnent aussi l’estime du monde.

Mais Lavarède, notre héros, demande quelques lignes de biographie.

Armand Lavarède naquit à Paris, d’un père méridional et d’une mère bretonne. Il participait des deux races, empruntant à l’une son entrain primesautier, à l’autre son calme réfléchi. De plus, Parisien, il reçut ce don propre aux enfants de Lutèce, l’esprit débrouillard et gouailleur, aussi difficile à étonner qu’à effrayer.

Orphelin d’assez bonne heure, il fut élevé par son oncle Richard qui,