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Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/6

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LE TESTAMENT DU COUSIN RICHARD.

s’il paya toutes les leçons et tous les maîtres nécessaires, ne s’occupa guère d’éduquer aussi le caractère de son neveu.

Il avait bien trop à faire, le pauvre homme, avec son propre fils, Jean Richard, cousin d’Armand Lavarède par conséquent. Celui-là avait le tempérament tout à fait contraire. Autant Armand était bien portant, joyeux et prodigue, autant Jean était maladif, triste et économe.

Jean était un peu plus âgé qu’Armand. En 1891, ils avaient le premier tout près de quarante ans, le second trente-cinq. Jean avait repris le négoce de son père, qui faisait la commission en grand, et s’y était vite enrichi. De santé chétive et de caractère aigre, il avait même fini par prendre en grippe Paris, la France, ses amis et ses parents, et il était allé s’établir en Angleterre, dans le Devonshire. Un hasard commercial, un chargement de coton d’Amérique resté impayé, lui avait valu là, en remboursement, une fort belle habitation à la campagne. Devenu misanthrope, il était heureux d’aller vivre en un pays où il ne connût personne et ne fût connu de quiconque.

Pendant ce temps, Lavarède, audacieux, entreprenant, mais ami du changement, avait considérablement « roulé sa bosse », comme dit en son langage imagé l’expression populaire.

Encore gamin en 1870, il s’engagea dans un corps franc, fit le coup de feu à l’armée de la Loire, sous les ordres du général Chanzy, et commença ainsi à apprendre le courage.

Puis il reprit le cours de ses études, essaya de la médecine et ne tarda pas à se dégoûter des misères humaines, disséquées de trop près. Il se mit à travailler pour le génie maritime, navigua quelque peu, construisit de même. Et lorsqu’il sut assez de mécanique pratique pour que cet inconnu ne l’intéressât plus, sa marotte changea.

Il revint à Paris, partit comme correspondant militaire lors de la guerre turco-russe, fit la campagne, vit Plewna, poussa une pointe en Asie, et, au retour, crut avoir trouvé son chemin de Damas. Ce fut un excellent reporter, le sire de Vapartout le rencontra en Tunisie, en Égypte, en Serbie, en Russie, en Espagne, etc., dans tous les pays où la presse parisienne envoyait des représentants. Ayant l’intelligence vive, la décision prompte, la santé solide, et une éducation complète lui ayant laissé une teinte superficielle de toutes les connaissances modernes, Lavarède se fit journaliste.

Et c’est dans cette situation que nous le trouvons, au début de ce chapitre, en conférence assez amère avec M. Bouvreuil, son propriétaire.

Nous l’avons assez silhouetté pour que l’on comprenne aisément que, dépensant sans compter, n’ayant aucun souci du lendemain et conservant