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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

chaussée tropicale le maintinrent, qui par la tête, qui par les jambes, de telle sorte qu’il fut réduit à l’immobilité la plus complète.

Un des exécuteurs s’approcha de lui, et pointant perpendiculairement un clou énorme au-dessus de sa tête, fit mine de l’y enfoncer à grands coups de marteau. En toute autre circonstance, Bouvreuil eût compris que c’était une simple plaisanterie ; mais, harcelé, rudoyé, malmené par tout le monde depuis l’instant où il avait mis le pied sur ce malencontreux bateau, il avait perdu la notion exacte des choses. À la vue de la pointe et du marteau, il se crut perdu et poussa un cri d’épouvante, — auquel répondirent de bruyants éclats de rire. — Le clou était en mie de pain colorée.

La terreur était ridicule ; l’usurier le sentit, et sa rage en fut augmentée. Il lança à Lavarède un regard qui l’eût fait frémir s’il n’avait été très occupé à raconter à la petite Anglaise une histoire que la jeune fille écoutait les yeux mi-clos, une teinte rosée aux joues et les lèvres entrouvertes par un sourire. Mais la victime n’était pas au bout de ses peines. Un second exécuteur, armé d’énormes tenailles, s’avançait.

— Il devait, disait-il, arracher les ongles du patient.

Et il lui enleva… ses chaussures.

Un troisième survint portant une scie, dont il menaçait le col du malheureux. Il lui râpa simplement le dos avec la corde qui sert à tendre la lame.

Bouvreuil ne bronchait plus. Il laissa un autre exécuteur lui barbouiller la figure de blanc et de noir, à l’aide d’une férule de basane.

Après cette opération, les gendarmes le lâchèrent. Il pensa que ses épreuves étaient terminées et fit mine de se lever. Comme s’ils n’eussent attendu que ce mouvement, ses tourmenteurs firent basculer la planchette sur laquelle il était assis, et l’usurier, avec une pirouette des plus réjouissantes, disparut jusqu’au cou dans la cuve remplie de vieille sauce, de noir d’ivoire, de sel, de poivre, de cirage, enfin de tous les ingrédients que le navire avait pu fournir.

Bouvreuil fit un effort héroïque. Se cramponnant aux bords, il tenta de s’échapper. Mais aussitôt le tube d’une pompe foulante fut placé dans la cuve et en fit jaillir le liquide, qui retomba de tous côtés en flots jaunâtres sur la tête du malheureux. En même temps le contenu de nombreux seaux d’eau coula du haut de la hune, où les matelots les avaient tenus en réserve pour compléter ce singulier baptême.

Aveuglé, à demi asphyxié, Bouvreuil hurlant, gesticulant, se débattait avec désespoir sous cette interminable averse.

Un rire fou secouait tous les assistants. Sir Murlyton lui-même s’y