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LES CINQ SOUS DE LAVARÈDE

marais et évitaient de sortir pendant les heures torrides de la journée. Car le climat de Colon est insalubre, justement à cause de la chaleur humide qui y règne et des marécages qui environnent la ville. Mais, quand ils eurent fait trois fois le tour de la statue de Christophe Colomb, — Colon en espagnol, — ils eurent bien vite connu cette petite cité, qu’un criminel incendiaire détruisit en partie en 1885. Colon fut élevé seulement en 1849, lorsqu’on parla du chemin de fer interocéanique, qui précéda le percement du canal.

— À l’origine même, expliqua Gérolans, la ville fut appelée « Aspinwall », dénomination que préfèrent les Américains du Nord, — du nom de leur compatriote, l’un des financiers des États-Unis qui contribuèrent à l’ouverture de la voie. Aspinwall choisit pour l’emplacement de la cité, tête de ligne, la petite île de Manzanilla, ainsi qualifiée à cause des mancenilliers qui y croissaient autrefois. Au début, Stephens, Baldwin, Hugues, Totten préféraient un point plus à l’ouest dans la baie de Limon ; mais l’avis de Trautwine prévalut, la profondeur des eaux est plus considérable au bord de l’îlot et l’on se décida. Seulement, il fallut construire un terre-plein pour relier Manzanilla à la terre ferme et consolider la chaussée qui traverse les marais fangeux de Mindi. Enfin, en 1855, le chemin de fer fonctionna d’un océan à l’autre.

Nos amis en étaient là de leur instruction locale, lorsque Lavarède reparut, au grand désespoir de Bouvreuil, à la joie de miss Aurett, partagée à un degré moindre par l’impassible Murlyton.

— Dites, fit ce dernier, comment vous avez vécu ces jours passés.

— Venez d’abord avec moi jusqu’au port ; et montons sur la Maria-de-la-Sierra-Blanca, le navire qui vient de m’amener. Devant témoins, je vous ferai le récit de mon odyssée, fort simple d’ailleurs.

Quelques minutes après, Lavarède commença :

— À la Guayra, nous avons abordé la nuit déjà venue. J’en ai profité pour revenir à terre avec le bateau de la santé, qui m’a pris pour un déserteur de l’équipage. Comme, dans toutes les républiques du Sud, on manque d’habitants, et surtout de spécialistes, on accueille fort bien les Européens qui passent par là avec armes et bagages. Si cela se fait un peu moins en Venezuela, je ne vous apprends rien en vous rappelant que le Paraguay, l’Argentine, etc., attirent à eux les émigrants du vieux monde par tous les moyens, avouables et inavouables. Me voilà donc reçu à la Guayra, et même nourri. Le soir, je m’informai du chemin de Caracas, vingt kilomètres à peine… Je me mis en route et j’arrivai le matin à la ville.