Page:Ivoi Les cinq sous de Lavarède 1894.djvu/86

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
83
EN COSTA-RICA.

— Ce sont des arrieros ? demanda Lavarède.

— Non, dit Ramon, ils n’ont pas le costume. L’un des deux hommes est un Zambo, et l’autre un Indien Do ; sa tribu est loin en arrière de nous, au sud des travaux de l’isthme.

— D’où tu conclus ?…

— Que ce sont des voleurs… Nous allons bien voir.

Et s’approchant brusquement :

— Camarades, nous vous remercions d’être venus au-devant de nous avec nos montures. Ces mules devaient nous attendre vers le Chiriqui : mais je ne vois pas nos mozos avec elles.

Puis, sans ajouter un mot, il enfourcha une des montures, et Lavarède l’imita.

Le Zambo et le Do, surpris, se regardèrent. Ramon reprit :

— Sa Grâce va donner une piastre à chacun pour vous remercier de la peine que vous avez prise.

Les deux hommes tendirent aussitôt la main. Lavarède, qui n’avait pas le premier cuartillo de cette somme, comprit et paya d’aplomb.

— Canailles, s’écria-t-il en levant son bâton, vous vouliez voler mes mules.

— Non… non… Votre Grâce… C’est Hyeronimo, le muletier de Costa-Rica, qui nous a envoyés en nous promettant un bon prix…

— Cela suffit… Venez le chercher chez l’alcade de Galdera.

Et, avec un toupet d’honnête homme, il piqua des deux, suivi de Ramon. Pour cette fois, la gravité de l’Indien fit place à la gaieté. En riant, il tira la morale de l’incident :

— C’est un double plaisir de voler un voleur.

Ils savaient au moins une chose : les mules appartenaient à un arriero de Costa-Rica, nommé Hyeronimo. Et, à en juger par la splendeur des harnais, cet arriero devait être au service de quelque huppé personnage.

Quelques jours après, Ramon fit savoir que l’on était arrivé où il devait aller.

— C’est ici le pays qu’habite ma tribu. En face de toi est ton chemin. Aujourd’hui même, tu auras quitté le territoire colombien pour être sur celui de la République costaricienne. Garde pour toi les deux mules que Dieu nous a données ; elles te serviront à toi et à ta compagne. Ton ami l’Anglais en a une aussi ; vous êtes donc assurés de faire bonne route. Moi et mon Iloé, nous allons retrouver nos parents, nos frères. Heureux si j’ai pu te guider et t’être utile, fais-moi l’honneur de me serrer la main.