Page:JORF, Débats parlementaires, Chambre des députés — 19 juin 1897.pdf/7

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

a été dit ; dans les conversations, il m'a été affirmé que je ne pouvais m'appuyer que sur ce texte, parce qu'il était sténographié. Eh bien, l'enquête la plus soigneuse ne nous a pas révélé la présence d'un sténographe à la conférence du 7 mars. (Bruit à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche.)

M. le président. Mais, messieurs, vous couvrez complétement la voix de l'orateur.

M. le ministre. Messieurs, il serait d'autant plus nécessaire de prouver qu'il y avait un sténographe à la conférence du 7 mars, que vraiment les apparences sont contre cette hypothèse. Comment se fait-il que le journal le Briard, qui a eu toute une semaine pour se retourner, qui n'a publié que le 13 mars la conférence du 7, ait imprimé le texte répudié par M. Montaut et non pas le texte sténographique, authentique, si vous voulez, ou tout au moins une réduction de ce texte ? Voilà qui n'est point facile à comprendre.

C'est seulement dans les derniers jours d'avril, lorsque probablement le bruit de l'enquête que je faisais a pu circuler dans le pays, qu'apparaît le compte rendu...

M. Montaut (Seine-et-Marne). Authentique.

M. le ministre. ...qualifié de sténographie, et c'est seulement le 5 mai, c'est-à-dire près de deux mois après la conférence, que paraît dans le journal le Briard le compte rendu authentique ou sténographique. Et comme il est bien certain qu'il y a des changements d'un texte à l'autre, je suis obligé de penser que le conférencier avait dû reconnaître qu'il avait été un peu loin sur certains points.

A l'extrême gauche. Lesquels ?

M. le ministre. Du reste, il n'y a pas de différence essentielle entre les deux textes en ce qui concerne l'exposé des théories socialistes ; et le texte prétendu sténographique n'atténue en rien les passages correspondants du texte imprimé que je vous ai lu tout à l'heure.

Que je me serve donc d'un texte ou de l'autre, qu'ai-je à relever dans la conférence de M. Chauvin ? J'y relève l'appréciation la plus injuste des efforts faits depuis vingt-cinq ans pour améliorer le sort de la classe la plus nombreuse. (Exclamations ironiques à l'extrême gauche.)

M. Millerand. C'est une opinion. Vous faites un procès de tendance.

M. Arthur Groussier. Quels sont ces efforts ?

M. le ministre. SI l'heure et le lieu étaient mieux choisis, j'aurais plaisir à vous défendre contre vous-mêmes et à vous montrer qu'il a été fait beaucoup. (Très bien ! très bien ! au centre.)

Après ces vingt-cinq ans d'efforts, on vient nous dire : La République ? une simple étiquette : sous ce régime, les riches sont tout et les pauvres ne sont rien.

M. Charonnat et plusieurs membres à l'extrême gauche. C'est vrai !

M. Le Hérissé. On le répète tous les jours à cette tribune.

M. le ministre. Je relève encore dans cette conférence des attaques contre le Parlement, contre les lois que vous avez votées...

M. Jaurès. Jamais, même sous la Restauration, il n'y a eu aussi peu de liberté pour les professeurs.

M. le ministre. ...et à l'adoption desquelles on attribue des mobiles bas et serviles. J'y relève des attaques violentes contre le gouvernement actuel (Ah ! ah ! à l'extrême gauche), dont M. Chauvin a cependant sollicité l'approbation pour enseigner à la faculté du droit. (Très bien ! très bien ! au centre.) J'y relève un appel continu à la haine des classes comme si, véritablement, il n'y avait en France que des pauvres et des riches, comme s'il n'y avait, suivant une expression de M. Chauvin, que le peuple gras et le peuple maigre.

En présence de telles doctrines et de telles violences d'expression, j'ai été amené, moi ministre de l'instruction publique, à me demander quel genre d'économie politique M. Chauvin pouvait bien enseigner à l'école de droit (Rumeurs à l'extrême gauche. — Applaudissements au centre.)

M. Gustave Rouanet. Voilà la question !

M. Jaurès. Alors, c'est l'enseignement lui-même qui est visé ?

M. le ministre. Car, ou bien il enseigne à l'école de droit ce qu'il raconte aux auteurs de Nanteuil, et alors quelle responsabilité encourrais-je devant le Parlement si j'assistais indifférent à une telle perversion de l'enseignement ?

M. Millerand. Il n'y a donc pas un doyen à la faculté de droit ?

M. le ministre. Ou bien, il se dédouble ; mais je veux écarter cette hypothèse, car je ne crois pas qu'il soit bien commode d'être, place du Panthéon, un professeur apportant de l'exactitude, de la correction, de la mesure, dans l'exposé de ses doctrines, du respect pour les opinions et les personnes de ses adversaires, et en même temps de parler, à Nanteuil-les-Meaux, en socialiste révolutionnaire... (Exclamations à l'extrême gauche. — Très bien ! très bien ! au centre.)

M. Faberot. Vous vous êtes bien associé aux royalistes !

M. le ministre. ...soucieux avant tout des actualités politiques et des personnalités politiques.

D'ailleurs, cette conférence de M. Chauvin a été précédée d'une autre, faite à Nemours, dans le même esprit, et, depuis qu'il n'enseigne plus à l'école de droit, elle a été suivie également d'autres conférences faites également dans le même esprit. Si je parle de ces dernières, encore qu'elles n'aient pu avoir d'influence sur la mesure que j'ai prise, c'est pour vous éclairer entièrement sur la voie et sur le plan suivis par M. Chauvin.

Un membre à l'extrême gauche. A quand le tour de M. Aulard ?

M. le ministre. J'ai pensé que ces déclamations injustes contre la société française, ces attaques contre le Parlement, ces excitations à la haine des classes, ces injustices envers des particuliers et j'ajouterai une sortie inconvenante contre la personne du chef de l'État (Interruptions à l'extrême gauche) ne pouvaient pas se tolérer...

M. Hubbard. Lisez le passage ! (Bruit.)

M. le ministre. ...de la part de quelqu'un qui, à la vérité, n'est ni un professeur ni même un maître de conférences, mais qui avait l'honneur d'enseigner dans les locaux de l'État et sous le contrôle de l'État. J'ai estimé qu'il n'était pas possible que les populations de Seine-et-Marne, après avoir lu sur l'affiche que c'était un maître de conférences à la faculté de droit qui allait parler, puissent entendre de sa part ces attaques violentes contre certaines classes de la société et ces injures contre certaines personnes. (Très bien ! très bien ! au centre.)

J'ai la conviction d'avoir agi suivant mon droit ; j'ai la conviction d'avoir rempli mon devoir envers le Parlement, envers l'Université, envers les familles qui lui confient leurs enfants. (Interruptions et bruit à l'extrême gauche. — Applaudissements au centre.)

Contrairement à ce qu'on vous a dit tout à l'heure, j'ai la conviction d'être en accord intime avec le sentiment de l'Université et en particulier avec celui de la faculté de droit de Paris. (Applaudissements au centre.)

M. Hubbard. Je demande à transformer la question en interpellation.

M. le président. La parole est à M. Montaut.

M. Montaut (Seine-et-Marne). Messieurs, vous venez d'entendre M. le ministre adresser différents reproches à M. Émile Chauvin. Ils ne sont pas réellement bien graves. Dans cette conférence de Nanteuil, M. Émile Chauvin a traité principalement trois points : d'abord, l'exposé de la question sociale, dans ses grandes lignes ; il a parlé ensuite de la grande propriété et de la chasse, et enfin de l'impôt progressif et global sur le revenu.

Voilà les trois points de la dissertation de M. Chauvin auxquels M. le ministre a fait allusion.

M. Mirman. Voulez-vous me permettre un mot, monsieur Montaut ?

M. Montaut (Seine-et-Marne). Bien volontiers.

M. Mirman. Je voulais rappeler qu'il y a quelques mois, un professeur de l'école de droit est venu à Reims, sur l'appel du comité conservateur de l'endroit, pour faire une conférence contre l'impôt sur le revenu, et par la même occasion faire œuvre de polémique très vive, ce dont je ne me plains pas au surplus. (Applaudissements à l'extrême gauche.)

M. le comte de Bernis. Nous avons bien vu un pasteur protestant, payé par l'État, venir à Nîmes faire une conférence politique ; et on ne lui a rien dit.

M. Montaut (Seine-et-Marne). Je demande, quant à moi, pour tout le monde la liberté d'exprimer son opinion. (Très bien ! très bien ! à gauche et à l'extrême gauche.)

En ce qui concerne l'impôt progressif et global sur le revenu, serait-ce par hasard se montrer séditieux que de le défendre ? Mais la Chambre en a adopté et voté le principe le 26 mars 1896. Serait-il dont interdit d'en expliquer le mécanisme en public, et surtout de réfuter les objections si peu sincères qu'on lui oppose ? Faut-il à toute force admirer les dernières conceptions fiscales, qui ne sont guère que la présentation, sous une forme un peu différente et sous d'autres dénominations, d'un système d'impôts condamné et qui est préjudiciable à la masse, mais que beaucoup voudraient hypocritement conserver ? Nous ne pouvons pas l'admettre. N'est-il plus permis, dans toutes ces questions fiscales, de parler de l'impôt global sur le revenu, et est-ce se montrer mauvais citoyen que de défendre une doctrine aussi conforme à la vérité et à la justice ?

En ce qui concerne la propriété, je serai très bref ; mais vous savez comme moi quels sont les abus de la grande propriété et de la grande chasse. (Exclamations à droite. — Très bien ! très bien ! à l'extrême gauche.) Elle est un véritable fléau pour plusieurs départements et notamment pour ceux de Seine-et-Marne et de Seine-et-Oise. La petite propriété rurale en souffre gravement ; ses intérêts en sont compromis.

Oh ! je sais ce que disent les grands chasseurs. Ils disent : Nous payons tous les dégâts ; vous n'avez qu'à vous taire, et vous serez payés.

Vous savez commet les choses se passent : les grands propriétaires traînent les malheureux agriculteurs de juridiction en juridiction, et ces infortunés perdent à la fois leur temps et leur argent. L'agriculteur qui se plaint est finalement ruiné par cette méthode, et c'est le juste châtiment de l'audace qu'il montre en essayant de faire valoir son droit.

Messieurs, je ne voudrais pas abuser de la patience de la Chambre (Parlez !), et cependant je désirerais lui donner au moins une idée d'une institution particulière à notre département et qui est invention seine-et-marnaise (Rires) : je veux parler de l'institution des claqueurs de fouet. Quand un petit propriétaire, un tout petit chasseur, a refusé de louer sa chasse à l'un de ces puissants seigneurs, il lui est