Page:JORF, Débats parlementaires, Sénat — 10 juillet 1940.pdf/5

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semblée nationale a le droit, elle aussi, d'interpréter comme elle l'entend cet article 8 de la loi constitutionnelle de 1875. (Vifs applaudissements.)

D'abord, l'Assemblée nationale n'est-elle pas, hélas ! réunie dans des conditions tout à fait exceptionnelles ?

D'autre part, un certain nombre de membres de la Chambre des députés et un membre du Sénat sont déchus par un texte législatif. (Très bien ! très bien !)

Qui pourrait admettre que ces membres que nous avons condamnés pourraient intervenir, par prétérition, par leur seule absence par suite de leur indignité, dans nos délibérations ? (Applaudissements.)

De même, par suite de circonstances que je n'ai pas à juger, un certain nombre de nos collègues sont absents du sol métropolitain. Je n'insiste pas.

Enfin, une grande partie du territoire, héla ! est occupée. Si la grande majorité de nos collègues a pu venir, certains d'entre eux, par suite de circonstances malheureuses, exceptionnelles aussi, ne peuvent être présents parmi nous. Alors qu'ils sont prisonniers de nos ennemis, il faudrait, malgré leur absence, les considérer comme présents à nos délibérations ? Je crois, mes chers collègues, qu'aucun de vous ne l'admettra. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le vice-président du conseil.

M. Pierre Laval, vice-président du conseil. Messieurs, j'ignore si un membre du Gouvernement a le droit de prendre part à une discussion qui intéresse le règlement...

M. le président. Il ne s'agit pas du règlement.

M. Pierre Laval, vice-président du conseil. ...qui intéresse l'interprétation d'un article de la loi constitutionnelle. Mais ce que je veux dire pour appuyer la proposition faite par M. Mireaux sur ce point, c'est que le Gouvernement n'a rien négligé pour que tous les parlementaires soient informés de la date des séances de la Chambre et du Sénat. Pour ce, il a utilisé tous les moyens mis à sa disposition. Ainsi, alors que nous étions sans rapports téléphoniques avec les préfets des départements occupés, alors que nos moyens de communication étaient difficiles avec les départements non occupés, par des informations de presse et grâce à l'obligeance du Gouvernement espagnol qui a bien voulu les faire radiodiffuser en français, par les postes de T. S. F. de Suisse qui les ont radiodiffusées également en français, puis, par la radio française lorsque l'usage nous en a été restitué, nous avons, chaque jour et plusieurs fois par jour, fait répéter la convocation pour que nul n'en ignore.

Nous avons fait mieux : nous avons fait informer le Gouvernement allemand, par la commission de Wiesbaden, que l'Assemblée nationale se réunissait. Nous avons demandé que les représentants de la nation se trouvant dans les départements occupés, non seulement fussent informés qu'ils devaient se rendre à Vichy, mais voient leur déplacement facilité.

Messieurs, interpréter autrement la loi constitutionnelle dans le moment présent serait un peu puéril. Vous imaginez-vous que les constituants de 1875 aient pu supposer qu'un jour nous aurions à nous réunir alors que les deux tiers de la France seraient occupés par l'armée allemande ?

Au surplus, de quoi s'agit-il ?

Le quorum est atteint ; il est même largement dépassé.

Il s'agit donc simplement du calcul de la majorité. N'estimez-vous pas, dans l'intérêt du pays, qu'il vaut mieux montrer à la France et au monde que la majorité, que le Gouvernement va recueillir tout à l'heure, est importante et digne de l'objet de vos débats ? (Applaudissements.)

M. le président. En conclusion de ses observations, notre collègue, M. Mireaux, demande, en réalité, à l'Assemblée nationale, de modifier l'article 8 de la loi constitutionnelle qui, je le rappelle, stipule une majorité constitutionnelle correspondant à la majorité absolue des membres composant l'Assemblée nationale.

M. Mireaux demande, en effet, la substitution des mots « ...la majorité absolue des membres composant l'Assemblée nationale... », de ceux-ci « ...la majorité absolue des membres, actuellement en exercice, de l'Assemblée nationale... »

À cet égard, je puis donner une indication à l'Assemblée nationale : le nombre des députés actuellement en exercice est de 546 et celui des sénateurs de 304, compte tenu des décès, démissions, exclusions, etc., soit au total 850 membres.

La majorité constitutionnelle de l'Assemblée nationale serait donc de 426.

M. Pierre Laval, vice-président du conseil. Ce sont des présents dont nous parlons.

Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. le vice-président du conseil.

M. Pierre Laval, vice-président du conseil. Messieurs, il ne faut pas qu'il y ait de malentendu. Or, il semble bien que je me suis mal exprimé ou que j'ai été mal compris.

Ce que veut M. Mireaux, ce que demande le Gouvernement, c'est que l'Assemblée nationale soit considérée comme se composant des membres présents... (Applaudissements.)

M. le président. Ce n'est pas ce que M. Mireaux avait indiqué tout à l'heure.

M. Pierre Laval, vice-président du conseil. ...et que la majorité soit calculée d'après le nombre des membres présents. C'est sur ce point que je demande à l'Assemblée de se prononcer. (Nouveaux applaudissements.)

M. Émile Mireaux. Il y a eu un malentendu. Je m'en excuse. La faute en est, non pas à M. le président, mais à moi-même.

Je me rallie à la proposition de M. le vice-président Laval.

M. le président. La parole est à M. Boivin-Champeaux.

M. Boivin-Champeaux. Dans une question aussi importante, il ne faut pas qu'il existe de confusion . Or, on paraît confondre deux questions absolument différentes.

Je crois avoir entendu dire, tout à l'heure, que l'interprétation de l'article 8 de la loi constitutionnelle devait être telle que la majorité des membres présents serait nécessaire. Si vous adopter cette interprétation, il faudra procéder à un pointage des membres présents, il faut un scrutin. Est-ce cela que vous voulez ?

Je vous propose d'interpréter l'article 8 de la loi constitutionnelle en décidant que les délibérations pourront être prises à la majorité absolue des suffrages exprimés. Dans les circonstances présentes, comme vient de l'indiquer M. Mireaux, cette interprétation serait la seule raisonnable.

M. Pierre Laval nous disait, il y a un instant : « Les constituants de 1875 ne pouvaient pas imaginer que nous nous réunirions dans des circonstances aussi tragiques ».

Je me permets donc de demander à l'Assemblée nationale de bien vouloir interpréter l'article 8 en ce sens : l'Assemblée nationale décide que la présente délibération sera prise à la majorité absolue des voix. (Applaudissements.)

M. le président. M. Boivin-Champeaux propose à l'Assemblée d'admettre, comme majorité constitutionnelle, la majorité des suffrages exprimés.

M. Pierre Laval, vice-président du conseil. Nous sommes d'accord.

M. le président. Le Gouvernement donne, eu égard aux circonstances, son adhésion à cette formule simple d'interprétation de la loi constitutionnelle.

Personne ne demande la parole ?...

Je consulte donc l'Assemblée nationale sur la proposition de M. Boivin-Champeaux, acceptée par M. Mireaux et le Gouvernement, tendant à ramener la majorité constitutionnelle à la majorité absolue des suffrages exprimés.

(Cette proposition est adoptée.)


— 5 —

TIRAGE AU SORT DES BUREAUX

M. le président. Afin d'éviter une longue suspension de séance, le tirage au sort des bureaux a été effectué par les soins du bureau de l'Assemblée nationale.

Il va être procédé à l'affichage de ce tirage au sort.


— 6 —

DÉPÔT DU PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE

M. le président. La parole est à M. Pierre Laval, vice-président du conseil, pour le dépôt du projet de loi constitutionnelle.

M. Pierre Laval, vice-président du conseil. J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de l'Assemblée nationale le projet de loi constitutionnelle suivant :

Article unique.

« L'Assemblée nationale donne tous pouvoirs au Gouvernement de la République, sous l'autorité et la signature du maréchal Pétain, à l'effet de promulguer par un ou plusieurs actes une nouvelle constitution de l'État français.

« Cette constitution devra garantir les droits du travail, de la famille et de la patrie.

« Elle sera ratifiée par la nation et appliquée par les Assemblées qu'elle aura créées. »

Je fais remarquer à l'Assemblée que le texte que je viens de lui lire est différent du texte imprimé qui lui a été distribué. Cette modification est le résultat d'une demande qui a été formulée au Gouvernement et qui a fait l'objet du débat de notre réunion de ce jour.

Voix nombreuses. Aux voix !

M. le président. Je dois d'abord consulter l'Assemblée sur l'urgence.

Il n'y a pas d'opposition ?...

L'urgence est déclarée.

Aux termes du règlement, le projet de loi devrait être renvoyé aux bureaux.

M. de Courtois. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. de Courtois.

M. de Courtois. Messieurs, ainsi qu'il résulte d'un précédent de l'Assemblée nationale de 1926, et dans le but de gagner du temps et de simplifier, il conviendrait, je