Page:Jacob - Souvenirs d’un révolté.djvu/20

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

N’ayant plus d’interlocuteur, je ne tardai pas à subir l’influence de la fatigue et de la chaleur. Je m’endormis à mon tour. Ce fut le garde qui me réveilla.

— Hé ! Hé ! Vous avez sommeillé une bonne heure, me dit-il. J’ai compris que vous étiez fatigué et après le passage du rapide, je vous ai laissé dormir. Je me suis dit : à quoi bon le réveiller ? Ai-je mal fait ?

— Vous êtes bien aimable, au contraire. Je vous remercie beaucoup.

— Mais, maintenant il est cinq heures passées, reprit-il. Je vais aller réveiller le cafetier… Si vous voulez prendre une bistouille [1], avant de prendre le train…

— Mais avec plaisir. C’est une excellente idée. Ça nous réchauffera le ventre. Mais, vous nous ferez le plaisir de venir trinquer avec nous ?

— C’est pas de refus.

Et, après avoir réveillé Bour et Pélissard, un quart d’heure ensuite, nous étions attablés tous quatre, chez l’un des aubergistes qui n’avait point voulu nous recevoir quelques heures avant.

— Vous n’avez pas le sommeil léger, brave homme, dis-je au gargotier. Cette nuit nous vous avons vainement appelé pendant un bon quart d’heure, et, sans l’amabilité de monsieur (je désignai le garde) nous serions demeurés à la pluie.

Nacavant, en venant le réveiller, avait dû lui révéler notre prétendue fonction, car, mon reproche le fit sourire, d’un air de me dire : « Ça t’apprendra de faire la chasse à mes fournisseurs. »

— Oui, Nacavant m’a raconté la chose, me répondit-il. C’est drôle… Je n’ai rien entendu, ajouta-t-il imperturbablement. Il faut vous dire que nous couchons au fond… tout là-bas au bout… tout à fait au fond…

— Menteur ! Pensai-je tout en buvant ma tasse de café.

— À votre santé ! Messieurs, s’écria le garde-sémaphore en levant son petit verre rempli de cognac jusqu’au bord.

Bour et Pélissard trinquèrent.

— Comment ! Vous n’avez pas de cognac ? Me demanda-t-il avec étonnement.

Puis, sans attendre ma réponse :

— Hé ! Patron ! Apporte donc encore une bistouille de fine. Si tu dors la nuit, ajouta-t-il malicieusement, c’est pas une raison pour dormir le jour en oubliant de servir les clients.

  1. Café melé d’eau de vie (Nde)