Page:Jacob - Souvenirs d’un révolté.djvu/26

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aussitôt, comme s’il eût regretté sa faiblesse, il fit mine de revenir sur moi. Sans lui laisser le temps d’accomplir son intention, je le mis en joue avec mon revolver. Ce geste l’arrêta net. Il se fit un bouclier de son bras, se couvrant ainsi la figure, attendant le coup. Je fis feu. Il s’affaissa en pirouettant sur lui même.

Dès lors, je fus libre de mes mouvements. Immédiatement j’allai sur le seuil de la grande porte de la salle des pas perdus. J’eux beau regarder à droite, à gauche, devant, derrière, je n’aperçus ni Pélissard, ni Bour. Le moment n’étant pas aux rêveries ni aux conjectures, je m’empressai de quitter le théâtre de la lutte.

Aussitôt sorti, mon premier soin fut de recharger mon arme. Mais, croyant n’avoir tiré que deux coups, je ne remplaçais que deux balles. C’est ce qui explique la douille qui fut trouvé vide, lors de la trouvaille de mon revolver.

Au hasard, sans savoir au juste la direction que je prenais, je me dirigeai vers Érondelle qui est une espèce de hameau situé environ à un kilomètre de Pont-Rémy. Je suivis la voie ferrée sur un parcours de deux cents mètres environ, puis je coupai à travers champs. Dans ce court espace de chemin, je rencontrai plusieurs ouvriers qui se rendaient à leur travail, à l’usine Saints. Les uns me regardèrent avec surprise, intrigués sans doute par l’allure de mon pas et le port évident de mon revolver. Les autres passèrent sans même me regarder. En coupant à travers champs, je fis la rencontre d’un petit homme aux jambes lilliputiennes, sur lesquelles était posé un paquet de viande en forme de poire dont la queue rabougrie figurait la tête. Son regard puait la fausseté. Aussi me parut-il suspect. Les événements devaient confirmer mes soupçons. Ce triste échantillon de la gent « casserole » n’était autre que le sieur Edmond Mas, empoisonneur patenté de son métier, le dénonciateur qui, quelques heures après, conduisit le procureur de la République sur ma piste.

Arrivé à la hauteur d’Érondelle, je me débarrassai de mon vêtement imperméable en le jetant dans un ruisseau d’irrigation. Puis, comme j’avais oublié mon chapeau dans la rixe, je me couvris la tête avec mon mouchoir ; ensuite je continuai ma marche vers le point culminant du terrain où je me proposais d’arriver.

Dans cette partie de la France, les montagnes et les collines brillent par leur absence. En revanche, les marais n’y font pas défaut. La contrée est aussi plate qu’une poitrine d’anglaise. C’est tout juste si, çà et là, on rencontre quelques mamelons, c’est-à-dire quelques pelletées de terre amoncelées les unes sur les autres. C’était là le point culminant, objet de mes désirs, et sur lequel j’arrivai vingt minutes environ après mon départ de la gare. N’importe. Les petites choses ont parfois de