Page:Jacob - Souvenirs d’un révolté.djvu/25

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Puis, me lâchant aussitôt, il se réfugia dans le cabinet du chef de gare. Un autre employé de la gare - Ruffier - l’imita dans sa retraite. Bour, n’apercevant plus Pélissard qu’il venait de dégager, prit à son tour la fuite.

Je demeurai seul aux prises avec Auquier. À l’instant précis ou Nacavant me lâcha, un coup de feu partit de mon revolver ; il n’atteignit personne. Au bruit de la détonation, soit qu’il eût voulu s’assurer s’il était atteint, soit encore pour tout autre motif, Auquier me lâcha aussi. Mais avant que j’eusse eu le temps de me lever complètement, il m’empoigna de nouveau. Rapidement, je lui fis un croc-en-jambe, et il tomba sur le plancher. Mais il me tenait si fortement qu’il m’entraina dans sa chute. Nous ne restâmes pas longtemps à terre. L’un et l’autre fûmes lestement debout. Par un heureux hasard, il réussit à me neutraliser les bras. Et ainsi aux prises, moi en me débattant, lui en me tenant, nous nous dirigeâmes vers la salle des pas perdus. En arrivant sur le seuil de la porte qui donne accès de cette salle dans celle où nous nous trouvions, Pruvost, qui était affalé à terre, nous barrant le passage pour ainsi dire, se leva brusquement sur ses genoux, comme mû par un puissant ressort et s’accrocha désespérément à mes jambes. Sur le coup, je perdis l’équilibre et tombai à la renverse, sur Pruvost, entraînant Auquier dans ma chute. Nous roulâmes ainsi, accrochés l’un à l’autre, formant une grappe humaine, jusque dans la salle des pas perdus.

Ignorant que Pruvost ne pouvait plus me nuire à cause de la gravité de sa blessure, je lui portai plusieurs coups de poignard pour le faire lâcher. Puis, je tirai un coup de revolver sur Auquier, sans l’atteindre ; par ricochet, la balle alla se loger dans l’aine de Pruvost. Tout comme pour mon premier coup, le bruit de la détonation fit encore lâcher prise à Auquier. Je me redressai vivement. Mais lui, toujours veinard, eut le temps de me ressaisir les poignets, en prenant soin de se tenir derrière moi, comme une croix derrière un christ. Sa position était des plus avantageuses ; et s’il avait été plus vigoureux, il n’est pas douteux qu’il m’eût empêché de fuir. À ce moment, j’ignorai que Pélissard et Bour eussent pris la fuite. En voyant le danger de ma position, je les appelai à mon aide. Comme on s’en doute, mes appels demeurèrent vains.

Alors, me sachant seul, et me sentant perdu, pour ainsi dire, je rassemblai toutes mes forces et dans un suprême effort je me précipitai en arrière, aplatissant ainsi mon antagoniste contre la cloison du cabinet du chef de gare. Les vitres, la boiserie et la cloison de briques en tremblèrent. Cette manœuvre me réussit. Il était temps ! J’étais littéralement exténué. Après avoir lâché un « ouf ! » occasionné par la pression produite sur son ventre, le brigadier de police laissa aller mes bras. Presque