Page:Jacob - Souvenirs d’un révolté.djvu/74

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— C’est à quoi tendent tous nos efforts, approuva le député.

— Vraiment ! M’écriai-je. Vous m’étonnez beaucoup, car il ne tient qu’à vous de les voir couronnés de succès.

— Et comment ? Demanda M. Canache.

— Mais c’est bien simple ; en supprimant la cause de ces crimes, de ces délits ; la propriété privée. Quels sont les délinquants, les malfaiteurs ? Ceux qui ne possèdent rien. Quels sont les plaignants, les honnêtes gens ? Ceux qui possèdent tout. Supposez un banquet de dix hommes où deux d’entre eux s’accaparent toutes les victuailles, il est certain que les huit autres, poussés par la faim, par le plus pressant des besoins, feront la guerre aux deux voleurs pour avoir leur part de nourriture. Il en est de même pour le banquet de la vie où les uns ont tout et les autres rien. Il est donc fatal, inévitable, que les expropriés fassent la guerre aux propriétaires. Que ceux qui possèdent renoncent à leurs propriétés qui, en vérité, ne sont que le fruit du vol, de l’usurpation, et la guerre sociale disparaîtra, comme s’éteint une lampe faute d’huile.

— Oui, j’entends. Vous êtes communiste. « Tout à tous. Un pour tous, tous pour un. Produire selon ses forces, consommer selon ses besoins… » Je connais ça aussi bien que vous, allez, me dit le député.

— Je n’en doute pas…

— Mais le communisme est impossible. C’est une utopie, reprit-il. De tout temps, à toutes les époques, il y a eu des rêveurs, des utopistes. C’est Platon, Fénelon, l’abbé de Saint-Pierre ; plus récemment Babeuf, Fourier, Cabet et tant d’autres dont les noms m’échappent. Mais ce sont là des rêvasseries, des théories imaginaires dont la réalisation n’est pas possible… Je ne veux pas dire pour cela que tout soit pour le mieux, non, des réformes s’imposent ; mais de là à supprimer la propriété, il y a loin. La propriété est la pierre angulaire sans laquelle nulle société ne saurait subsister : elle est donc inexpugnable, pour me servir de cette expression.