Page:Jacobus X - L'amour aux Colonies, 1893.djvu/144

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ligne. Les bons danseurs sont spécialement appréciés. Malgré une température moyenne de trente degrés, les dames Créoles sont infatigables, et dansent une nuit entière, presque sans repos, jusqu’au lever du soleil. Quelques Françaises essayent de soutenir l’honneur du pavillon métropolitain, mais, le lendemain, elles prennent le lit pour deux ou trois jours.

Le patois Créole et sa crudité. — Les dames de la Colonie parlent toutes entre elles le doux patois Créole, qu’il est facile à un Français d’apprendre, car c’est, comme le patois des Antilles, une corruption du langage Français dont on a enlevé les r (si chères au Marseillais), et certaines consonnes nasales et gutturales, avec l’adjonction de quelques mots Portugais et du langage des Nègres d’Afrique.

La syntaxe est nulle (comme celle d’une dépêche télégraphique) et en deux mois, trois mois au plus, on peut causer et comprendre, surtout si l’on a le soin de prendre comme professeur une femme de couleur. Si le Latin dans ses mots brave l’honnêteté, le patois Créole partage ce privilège. Les dames Créoles n’ont pas la pudibonderie hypocrite de la fille d’Albion, qui dit toujours la jambe (leg) d’un poulet et jamais la cuisse, et qui n’oserait jamais prononcer le mot croupion. Elles aiment, tout au contraire, le petit mot pour rire. Les gens du peuple de couleur ne voient aucun mal (comme nos aïeux du temps de Rabelais) à donner aux choses leur vrai nom. Ils nomment un chat un chat, et le uit un poisson (prononcer posson). Ils ont même une expression très pittoresque : quand un Nègre veut uriner, il dit : « Mo qu’a changé mon posson d’o (Je vais changer mon poisson d’eau). » Ce n’est pas un petit poisson, que possèdent ces bons Nègres, mais une grosse anguille à tête noire, qui leur vient par héritage de leurs ancêtres de la Terre d’Afrique.