« Je le vois encore, a-t-elle raconté, assis dans un fauteuil, près de la fenêtre, et m’écoutant avec impatience un soir que je lui parlais du magnifique avenir sur lequel il pouvait compter avec certitude… Wagner me dit :
« — Que m’entretenez-vous d’avenir, lorsque mes manuscrits restent enfermés dans mes tiroirs : Qui donc doit représenter ces drames, composés sous l’influence de bons génies, de telle façon que tout le monde sache que c’est bien ainsi que le Maître a vu et voulu son œuvre !
« Dans son agitation, il parcourait la chambre à grands pas. Soudain s’arrêtant devant moi, il s’écria : Sachez-le ! J’ai une organisation à part. J’ai des nerfs sensibles. Il me faut de la beauté, de l’éclat et de la lumière ! Le monde me doit ce dont j’ai besoin. Je ne suis pas homme à vivre d’une malheureuse place d’organiste comme votre maître Bach ! Est-ce donc une exigence inouïe que de demander un peu de luxe, moi qui vais donner au monde, sans compter, des jouissances inconnues ! »
Un jour, enfin, son énergie se ranime. Le silence et l’obscurité l’irritent plus que tout. À cinquante ans, Wagner est encore assez jeune pour courir à la conquête de la fortune et de la gloire. Il ne veut pas plus longtemps gémir en vain. Et ses derniers doutes, c’est la fidèle amie qui les dissipe par l’ardeur de sa conviction. Le récit de Mme Wille reprend :
« Un soir, me trouvant seule, Wagner me déclara avec une gravité solennelle :
— Mon amie, vous ne connaissez pas l’étendue de mes souffrances, la profondeur de ma détresse !
Ses paroles m’effrayèrent. Mais, pendant que je le regardais, je ne sais quelle idée m’envahit tout à coup et me fit dire avec conviction : Non, non, il n’y a pas devant vous que de la détresse. J’en suis sûre quelque événement va survenir qui vous sera favorable. Encore un peu de patience et vous connaîtrez le bonheur ! »
Le lendemain, Wagner quittait Mariafeld et se rendait à